LA SOCIETE DES BONNES INTENTIONS
(Roman vaguement policier et de science-
Première partie :
LES SYMPTÔMES
I.
Tout est permis à l’homme qui doit se défendre. Tout est permis à l’homme qui est en danger. Il se le permet. Il reprend ses droits à la loi. Elle le défendait mal, elle lui ordonnait de subir, elle lui ordonnait d’accepter. Il a fallu vaincre la loi pour refonder la loi.
Trois bombes à neutrons furent nécessaires. Le pays avait subi une invasion rampante protégée par la justice qui relâchait les immigrés voyous, les associations qui empêchaient les expulsions coûte que coûte, les médias qui recevaient des pays musuls des investissements et des cadeaux somptueux officiellement en échange de rien. Tout le système était gangrené. Sa corruption se trouvait aussi bien à l’école publique où la moindre promotion dépendait du copinage de gauche que dans la police où régnait le copinage de droite. L’épuration tardive de l’armée quand les hordes des envahisseurs rampants étaient passées à l’attaque, avait simplement accéléré sa fragmentation après que des unités entières formées d'immigrés eurent rejoint les conquérants, avec leurs armes, et que dans d’autres unités où ils étaient trop nombreux ils eurent tenté de tuer les Français si confiants, si naïfs avec leurs rêves de multiculturalisme pluriethnique.
Sans le Général que serions-
Les cadavres, les âmes mortes, étaient le peuple des rues. Les musuls exigeaient la conversion ou tuaient. La reconnaissance leur était inconnue. Il n’y avait pas d’entente possible; quand ils acceptaient un accord c’était pour avoir le temps de gagner du terrain de façon rampante et recommencer les attaques en ayant de nouveau des leurs au milieu de ceux qu’ils attaquaient, une cinquième colonne protégée par les associations incapables de croire à tant de perversité. D’ailleurs elle accusaient de perversité tous ceux qui leur montraient la perversité des envahisseurs. Les preuves ne les ébranlaient pas. Commençons, nous tous, citoyens du monde, par nous donner la main, formons une chaîne joyeuse qui entourera la terre... ils tendaient la main, les musuls prenaient cette main, ordonnaient la conversion et en cas de refus coupaient cette main.
Petit à petit les processus démocratiques qui tous permettaient à l’ennemi de s’emparer du pays avaient dû être supprimés. On ne pouvait pas faire face autrement. La gangrène gagnait. Finalement le Général avait offert sa personne aux survivants de son pays. Il avait obtenu les pleins pouvoirs, somme toute comme un dictateur de la République Romaine antique: rien de nouveau. Il s’était adressé au reste libre de son pays occupé :
«Ce que je vous propose, Françaises, Français, ce n’est pas une guerre, que nous
ne gagnerions peut-
Le mot était fort. Le mot était terrible. Le Général l’avait choisi parce qu’il était
terrible. Il révolterait tous ceux qui sans le dire étaient sur le point de se convertir,
allaient trahir, préférant leur peau à la France. Le but fut atteint. Ils ne purent
s’empêcher de protester, les arrestations en masse qui suivirent, les enquêtes rapides
-
La guerre reprit. Les Etasuniens fournissaient en armes nos ennemis au nom d’une haute politique qui nous supprimait de la planète; le Général alors «dératisa». On manoeuvra pour que les envahisseurs se regroupent essentiellement en trois zones. Beaucoup des nôtres s’y trouvaient aussi, forcément. Trois bombes à neutrons lancées par nous sur notre propre pays anéantirent les forces d’occupation. Pour les musuls qui n’étaient pas à ces endroits l’éradication commença. Très vite les survivants essayèrent de se cacher en implorant la compassion des plus fragiles à la pitié, comme ils l’avaient fait des années avant de se sentir assez nombreux pour prendre l’offensive et tenter de s’emparer du pays. Ils avaient échoué, ils tentaient de recommencer. Les collabos furent exécutés, leur fragilité psychologique ne pouvait excuser la trahison; et les femmes comme les hommes, à égalité.
La dératisation fut presque totale.
Ensuite le Général entama le travail de retour à la démocratie en restant à la tête
de l’état -
L’union sacrée derrière le Guide s’effilocha, les partis, oubliés, reparurent. De
nouveau il y eut des droites et des gauches. Pour que le système ne redevienne pas
suicidaire, il fallut inventer des garde-
Un pays n’a pas besoin d’être riche pour être heureux. Limiter le commerce international,
en limitant les profits limite la sujétion à l’argent. Moins un pays a pour but de
s’enrichir plus il est libre. Dans notre liberté il y avait les votes décisionnels
directs des citoyens aux différents niveaux de la commune, du département et de la
région qui limitaient le pouvoir des élus et corrigeaient -
Ce vendredi on votait dans notre région pour ou contre l’augmentation du salaire
que les élus venaient de s’octroyer, expliquant depuis que leur charge était lourde,
leur dévouement considérable -
On les renvoya à leur dévouement déjà surpayé et le soir regardant la télé Myriam fut satisfaite du résultat. Elle savait certes que les mêmes feraient tout pour rester en place et tenteraient le coup à nouveau à la première occasion supposée. Toute faiblesse des citoyens enrichit les élus.
Elle venait d’entrer en fonction comme commissaire général de la police, en fait
le titulaire qui partait en retraite -
«Qui suis-
Son travail de haute responsabilité elle l’a gagné à la dure, elle n’a même pas eu la possibilité d’échapper au pire parcours possible.
Le SSO... Une des plus curieuses inventions sociales d’après-
Physiquement elle n’était pas attrayante; de grands yeux trop fixes accentuent les
défauts d’un visage au lieu de lui conférer un certain charme. Petite, râblée, aux
formes lourdes. Les clients n’avaient pas été nombreux pendant ses deux années de
service, en partie à cause de son physique, en partie à cause de l’encadrement strict
pour les tarifs élevés, les pratiques jugées acceptables, les heures de travail,
le temps bref consacré aux clients, en partie à cause de l’après-
Car si le Général s’était vu imposer cette organisation sociale par les idéologues
bien-
Baiser avec une personne qui aurait plus tard du pouvoir sur vous en excitait quelques-
Dans le cas de Myriam ceux qui se sont abstenus ont sûrement eu raison, la dame est vraiment rancunière.
En fait deux ans de SSO ne l’avaient pas si affranchie qu’elle n’aille de surprise en surprise au cours de sa formation policière en étudiant la prostitution parallèle qu’elle devait contrôler. Un large marché de l’interdit s’était développé en réponse aux règles strictes (on n’ose dire puritaines) du SSO; En âges, en pratiques... Tout ce qui n’était pas permis et devait être évité grâce à l’institution du SSO attirait, fructifiait, fleurissait.
Le SSO, lui, du moins en intention, n’était pas sur la pente du vice. D’où un autre
avantage, considérable : un droit envié d’avoir jusqu’à quatre enfants pour les filles,
selon leurs mérites, (un seul pour toutes les autres), d’en avoir un nombre parfois
illimité pour les garçons (les autres doivent être acceptés par une femme comme père),
selon leurs mérites évidemment, et, point majeur, le droit de choisir les cogéniteurs,
en-
On pouvait juger que la loi, pleine de bonnes intentions, n’avait pas réglé le problème de la prostitution et du sexe, elle avait simplement déplacé des lignes, des frontières.
Toutes ces explications sont nécessaires pour comprendre le caractère, la personnalité
de Myriam. La Brigitte 9532 (tel était le numéro que l’on avait tatoué sur son avant-
Elle sort du commissariat unité de fraternité. Nous sommes tous frères. Comme on
ne s’aimerait peut-
Pourquoi des gens ne se soucient-
L’homme suspect s’appelle Madox; il enseigne l’histoire. L’histoire selon lui n’est pas l’histoire selon un autre. Le Général a refusé d’imposer une histoire officielle, il prétend que c’est le meilleur moyen de multiplier des histoires parallèles délirantes, mais la liberté de pensée et d’enseigner n’a pas empêché les idées délirantes, l’absence de point de repère officiel auquel se référer, éventuellement pour s’y opposer, a créé un doute sur tout de tous; qui croire ? L’histoire est un bateau sans ancre qui dérive. Le chaos historique est né de la louable intention de respect des libertés fondamentales. Je ne veux pas critiquer le Général, son excès de bonté impose l’admiration.
Madox a un certain charisme, les étudiants croient donc plus facilement lui que d’autres,
ce qui ne signifie pas qu’il ait raison. Dans les discussions, les confrontations,
les séminaires... il l’emporte généralement sur les opposants les plus solides, les
points de vue les mieux argumentés. L’histoire n’existe pas sans interprétation,
les méthodes scientifiques historiques censées écarter la subjectivité ont fait la
part belle à celle des médiocres, des besogneux; l’histoire libérée de la science
apparaît aussi excitante que la vérité, déshabillée de la science, aussi aphrodisiaque
que la vérité encore ruisselante de l’eau pure du puits. Quelle était l’histoire
de la dernière guerre, guerre toute proche ? Plus les mémoires, les autobiographies,
les livres précis de spécialistes se multipliaient, moins on le savait. L’histoire
récente, archi-
Madox avait une théorie qui réduisait la guerre à une indigestion, une réaction naturelle à un excès de nourriture, en l’occurrence un excès d’immigration. Les trois bombes devenaient trois pilules. Et les drames devenaient dérisoires. On aurait pu les éviter en évitant l’excès. Myriam n’aurait pas eu à subir le SSO et aujourd’hui elle ne serait pas commissaire. Il est trop tôt pour qu’elle sache si elle doit déplorer ou être satisfaite, elle commence seulement sa nouvelle vie.
La ville a un air de fête, on ne s’ennuie pas chez nous, chacun y trouve ce qu’il
appelle «intérêt»; et s’il ne le trouve pas, son «intérêt» vient à lui. En effet
le système de la fraternité pousse à ne laisser aucune personne seule. Si on a remarqué
-
On sait que Myriam au seuil de la vie a besoin de tous, on a peur qu’elle échoue,
elle a droit à la vie, elle l’a bien gagné; il faut trouver ses centres d’intérêt
(qu’elle-
La nourriture de vie justifie les moyens. Il est possible que Myriam la trouve dans son métier, en ce cas elle représenterait un danger. Un danger social. Le fanatique de son métier est possédé par lui, au lieu d’exercer simplement une fonction; possédé ou aliéné; le fou de métier puise sa nourriture de vie dans la recherche de la perfection de son métier; il se change en outil de ce métier pour contraindre ce qui résiste, dans le cas d’un policier seuls les parfaits ne sont pas justiciables, or les parfaits sont rares. Bien faire son métier consiste à ne pas trop bien le faire. Selon les tests Myriam présente un coefficient d’inaptitude raisonnable dans son aptitude globale, mais les tests ne sont pas infaillibles.
Sortant du commissariat, elle a droit de subir la tentation de l’intérêt de l’actualité
car le kiosquier l’appelle, lui crie bonjour, lui demande de ses nouvelles, la tentation
de l’intérêt de la pause bistrot car le garçon l’a aperçue et lui crie l’offre d’un
en-
Les vastes bâtiments étagés sur la colline en une confuse logique ne retiennent pas l’attention et il est clair que si l’on trouve éventuellement ici un intérêt ce sera à l’intérieur. Si l’on n’en trouve pas les études n’en seront que plus sereines. La passion détruit la fraternité; la médiocrité puise sa nourriture de vie sans danger pour les autres.
Myiam connaît les lieux, elle y a étudié. Pas l’histoire, mais elle se dirige sans peine, cherche l’affichage des cours... Madox est à l’amphi 3D... Elle s’y glisse.
«L’étude historique ne doit pas être corrompue par la morale. Notre travail n’est
pas juge. Notre incapacité à ne pas juger est une faiblesse scientifique. Toutefois
nous devons accepter nos faiblesses; ce sont elles qui nous unissent; nos croyances,
nos naïvetés, nos certitudes nous insèrent dans des groupes, ces groupes sont des
composants d’ensembles plus vastes qui eux-
Ces paroles n’étaient pas absolument incompatibles avec la liberté d’expression,
mais Myriam sentit bien que la force de conviction par l’argumentation de l’orateur
poussait si fort à condamner les bombes que les esprits les plus faibles des étudiants
étaient aveuglés, leur liberté de penser réduite en miettes, desservie par une résistance
elle-
Il faut défendre les plus faibles contre les plus forts. La loi de la jungle même
par le biais de la parole et dans une université n’est pas compatible avec les droits
fondamentaux. Madox n’avait pas été sous-
II
«Aide ton prochain en participant au maintien de l’Ordre.
Fais des enfants pour qu’ils puissent nourrir et protéger les Anciens.
Limite la propriété pour réduire le nombre de voleurs.
Que la liberté sexuelle soit obligatoire pour que la solitude sexuelle disparaisse.
Consomme du luxe pour donner du travail aux défavorisés.
Aime tout le monde afin de pouvoir exiger d’être aimé par tout le monde.
Sers les autres pour mieux te servir.»
Des enfants en rangs passent à côté de Myriam en chantant ces maximes dont il est
indispensable d’imprégner les jeunes esprits. La réflexion a besoin d’être canalisée,
ainsi sa révolte éventuelle à la crise ado sera créatrice de progrès et non de destruction,
elle s’exercera dans le système au lieu d’être à l’extérieur et de s’acharner contre
lui. La première qualité d’une école est l’intégration sociale, l’école-
Myriam attend dans la rue que passe Madox. Elle juge préférable de l’observer hors cours avant d’entrer en contact avec lui. Elle se sent bien. La rue est conforme à ce qu’elle aime. Elle approuve qu’on lui ait appris à aimer ce qui lui permet de se sentir bien. Sa naissance s’opère dans la satisfaction. Elle n’a pas encore de compagnon, pas d’amies proches, pas d’amis proches, mais elle n’est pas pressée. Tout le monde est pressé pour elle, car on souhaite son bonheur, c’est normal, tout le monde est plus pressé qu’elle pour son bonheur. Les gens heureux ne sont dangereux pour personne. Le bonheur, quoique individuel, personnel, est une nécessité sociale.
Une jeune fille attendait aussi, à une dizaine de mètres, mince, longue, très jolie,
d’un type physique surprenant après la guerre, mais le mal rampant avait repris disait-
Myriam a cessé de se sentir bien, sa satisfaction s’est envolée, elle se sent rabaissée. Son pouvoir lui revient à l’esprit. Elle est commissaire en chef maintenant. Toute la région dépend d’elle, est sous son contrôle. Déjà elle devine qui la fille attend, et elle refuse le pressentiment; mais les êtres exceptionnels ne prennent pas la peine d’attendre des êtres ordinaires; elle voudrait que la logique soit fausse et que le pressentiment ne soit qu’une faiblesse de son imagination.
Madox arrive d’un pas rapide, il va droit à la fille, l’enlace, l’embrasse sur les
lèvres, longuement. A l’évidence il prend plaisir à être vu tenant entre ses bras
cette beauté qui n’a pas la moitié de son âge. Cinquante ? Par là ? Seuls l’argent
ou des mérites très particuliers peuvent effacer vingt-
Ils partent, enlacés.
Myriam se sent furieuse. Sans raison... Elle a l’impression que la fille se laisse
faire, sans plus. Peut-
«Accroche-
La vie n’est pas facile mais les problèmes aussi sont mortels. Elle dit à la petite : «Si l’un d’eux ose sortir la tête de son trou, pan ! un bon coup de bâton et on l’assomme.» L’enfant rit, rassurée. Myriam ne se juge pas si forte qu’elle le dit.
«Je suis entrée dans le bar «La riante» à 11 h 05. J’ai parlé à Mlle Diane Breil.»
Un peu avinée et la chevelure blonde cloche bancale rassemblée en haut du crâne. Il s’agissait d’une ancienne Brigitte qu’elle avait connue au SSO, plus âgée qu’elle et libérée plus tôt. Le bonheur ne lui était pas venu comme il l’aurait dû. Mais elle avait toujours été une révoltée. Au SSO elle avait été punie plus d’une fois pour rentrer dans le droit chemin. Elle en voulait à tous au lieu de prendre son parti de l’état des choses. A sa sortie elle n’avait eu droit qu’à deux enfants et au pouvoir mineur de Contrôleuse des finances. On lui prêtait une aventure avec Madox. Elle n’avait pas eu autant d’activité au SSO que depuis sa libération. On se la repassait. Elle était la bonne occase du sexe. On se la jetait de l’un à l’autre. Dans la joie, dans la belle humeur.
Myriam, pleine de compréhension naturellement, et de dégoût néanmoins, entra en conversation
avec l’avinée. Que lui était-
«Je... suitaboureûse, articula avec peine, la langue pâteuse, la sale pute que cette découverte ne semblait pas avoir réjoui.
-
-
Le bonheur vient au-
Cette Diane ne fait pas pitié, il lui suffisait d’accepter d’être banale et elle s’accroche au pire. Depuis sa sortie du SSO elle dégringole. Elle tombe comme une pierre.
Il faudra bientôt la refaire. La reconstruire mentalement comme on reconstruit un visage abîmé par un accident. On ne peut pas tolérer que les déchus représentent un danger pour les autres. Les comprendre, les aider, les soutenir, à un certain moment ne suffit plus. Myriam sait que ce sera à elle d’évaluer ce moment. Quelqu’un doit décider. Son pouvoir est l’obligation de décider.
«Tu as été avec Madox ? Qu’est-
-
Le patron du bar vint à elles : «Une ne suffisait pas, il y en a deux mainnant !»
Myriam montre sa carte officielle.
«Ah. Va falloir vous en occuper sinon un d’ces jours je la fous dehors.» Il fit le geste d’attraper par les épaules et de balancer à la rue. «J’aime pas les débris.»
Il n’y avait pas là entorse à la loi d’amour. La tolérance ne tolère pas les virus, elle n’a pas à tolérer ce qui détruirait. Diane est en somme un virus social. Une maladie du corps social qui peut devenir contagieuse si, comme autrefois, avant les trois bombes, la télé et les autres médias la présentent avec insistance en victime, si elle devient omniprésente dans ces médias sous des prétextes divers : informer, exciter, condamner... Les médias sont le véhicule ordinaire des agents pathogènes. Bien sûr ils sont libres, le Général l’a exigé; donc pour qu’ils ne parlent pas sans cesse d’un mal contagieux, répandant ainsi la contagion, il faut anéantir ce mal avant qu’il n’ait attiré leur attention. Le bonheur social dans la liberté a ses contraintes.
Myriam planta là le problème et ressortit. Quelle place devait-
Le retour sous le soleil dissipa les ombres. Elle n’allait pas se plaindre. Les drames des autres sont à traiter, à soigner socialement, on n’a pas à se laisser envahir la tête. Les problèmes de Diane, de Madox, glissaient d’elle, comme une eau sale, s’évaporaient.
De possible le bonheur était devenu socialement obligatoire... Madox aurait dit «inévitable»... et alors ? Seuls les ânes mortifères plient sous ce fardeau.
Quelques semaines passèrent et Myriam prit son poste de titulaire. Au pot de départ
son prédécesseur, par optimisme de bon professionnel jusqu’au bout, lui assura :
«Tu es prête.» Le lendemain dans son nouveau bureau elle sentit le vide tout autour
d’elle comme si elle était sur une cime, en-
Alors elle se reposa un peu. C’est humain. Après tant d’efforts obligés passer aux efforts choisis nécessite un temps d’arrêt. Ses supérieurs lointains lui manifestèrent leur satisfaction qu’elle ait compris si parfaitement sa fonction de paix et de sérénité. Malgré les tests, les évaluations diverses, on craint toujours de se retrouver avec un(e) agité(e) du pouvoir; en ce cas il faut immédiatement chercher comment s’en débarrasser. Avec elle on se sentait (à juste titre) tranquille pour quarante ans; il y aurait quelques secousses de temps en temps, quelques fumerolles, quelles crevasses, mais pas de tremblements de terre et pas d’éruptions volcaniques.
Elle avait rencontré tous les pontes locaux -
Les affaires continuèrent donc d’être résolues quand il le fallait et de ne pas l’être
quand il ne le fallait pas. Le doigté nécessaire ne fut pas difficile à Myriam,
il correspondait à ses convictions. Une injustice relative sert la justice globale.
Il faut savoir passer sur certaines choses pour éviter les désordres; l’intransigeance
engendre des vagues, parfois de fortes vagues, des raz-
Sa prise de poste fut donc quasi invisible, le plus grand nombre des habitants ne s’en aperçut même pas quoique l’information ait paru dans la presse comme il se doit; on le sait, sa tête ne retenait pas l’attention.
Quelques semaines après eut lieu la première disparition d’Asma. Il lui fallut plus
d’une journée pour s’apercevoir qu’Asma était la jeune fille qu’elle avait vue avec
Madox. Mais dès lors Asma ne quitta plus son esprit. Elle repoussa les questions,
se refusa d’intervenir dans la lenteur de la procédure pour le début des recherches.
Elle n’intervint pas davantage lorsque, un matin, on retrouva Diane droguée, inconsciente,
jetée sur le pavé par ses acheteurs à la fin ou au cours d’une de leurs «fêtes».
On sauva Diane à l’hôpital, on analysa la drogue et comme celle-
Rapport après rapport reviennent une constatation et une inquiétude : la désintoxication
imposée progresse et elle ne servira à rien. Le psychiatre chargé du dossier écrit
: «Les troubles comportementaux de la patiente ne pourraient être traités que dans
la durée grâce à un internement incompatible avec la réglementation.» Il ajoutait
: « La décision du danger pour soi-
Jusqu’à quel point faut-
Myriam rêve sur le rapport, elle tapote de son stylo la feuille de décision de danger
proposée à sa signature, elle revoit Diane au SSO, au bar, elle la voit où elle ne
l’a jamais vue, aux «fêtes», avec Madox... Quand arrêter une déchéance est arrêter
une vie il y a une raison de stopper la science. Une facilité irresponsable consiste
à sa débarrasser d’un problème en se débarrassant de l’être qui pose le problème.
Notre société n’accepte pas cette solution de fainéant, ce qui ne l’empêche pas d’être
souvent exécutée. Peut-
«Aide ton prochain en participant au maintien de l’Ordre.
Fais des enfants pour qu’ils puissent nourrir et protéger les Anciens.»
«Je suis arrivé dans cette ville il y a un an pour organiser l’exposition «Breuer».
-
-
Sa formation ne l’avait pas permis à Myriam, sinon... Rien n’est moins sûr mais elle
s’applique à l’amabilité, c’est son premier déjeuner non-
L’homme est gentil, il doit tout de même fatiguer de faire tous les frais de la conversation.
Pas d’eaux troubles dans cette tête, une allusion aux profits élevés des riches, une allusion au SSO, une allusion à la force de l’armée restant sans réponses autres que les phrases standards. Ce n’est pas un évadé de la banalité. Sa nourriture de vie a beau être artistique et orientée architecture il reste un bovidé broutant, en l’occurrence une salade aux anchois. La nature n’a pas horreur du vide, il en est la preuve.
Myriam cherche le père de son premier enfant; elle ne l’annonce pas, elle n’évoque
pas son passé, elle reste même dans le vague sur son travail dans la police. En général
on ne l’identifie pas. Par contre elle met ses pères possibles en fiches. Elle accède
à toutes les sources d’information informatiques et utilise ce pouvoir au service
du bonheur. Leur droit à la confidentialité des données n’est pas bafoué puisque,
en tant que Commissaire en chef, elle doit s’informer sur tout le monde pour surveiller
tout le monde. On ne peut pas sauvegarder la liberté individuelle sans la violer.
En effet n’importe qui, non suspect, s’avérera peut-
Myriam trouve Charlie Charlot très sympa. Mais comment laisser son métier au vestiaire ? Surtout quand il est capital pour Charlie Charlot d’être bien protégé. Il serait aberrant et très traumatisant qu’il se découvre virus social, contaminé et contaminant, alors qu’il déjeunait avec la Commissaire de police en chef. Sa réputation à elle en prendrait un sale coup. Elle avait protégé à la fois lui et elle en n’omettant aucune source de renseignement.
Ils se quittèrent avec promesse de se téléphoner, en bons termes. Quoiqu’elle y ait pensé, elle ne l’amena pas chez elle, à cause sans doute du SSO, elle aurait eu l’impression d’amener du travail à la maison.
Le choix des reproducteurs n’est pas un mince problème. Des simulations génétiques
sont souhaitables pour réduire le risque de mauvaise surprise. Surtout qu’après la
naissance, on ne peut plus agir sur le produit défectueux, le Général l’interdit,
il s’est même fâché en direct à la télé contre des propositions de loi en ce sens
qu’il a qualifiées d’iniques, et même de... sottes. Il a forcément raison. Néanmoins
une porte ouverte sur des interventions post-
Quoi qu’il en soit, Myriam, défenseur de la loi, n’ira pas contre la loi. Elle ne pensera pas contre le loi. La loi l’a forgée, en trente ans. Elle a forgé son acier, élaboré cette arme de défense. Il n’y a pas de faille en elle : c’est une brave fille toute simple que la vie n’a pas épargnée, qui a vécu à la dure quand beaucoup d’autres passaient entre les gouttes d’acide, de grosses gouttes d’une pluie perpétuelle d’acide entre lesquelles l’habileté et la chance permettent de slalomer sans être touché. Elle n’est pas si habile. Elle n’est pas si chanceuse.
Elle s’efforce d’oublier qu’elle a mal, que la souffrance fait partie d’elle. Elle
croit qu’il suffit de la refouler. Cette souffrance, avec ses limites savamment calculées,
est l’assurance de fidélité à la loi. Sans la loi qu’elle défend Myriam ne serait
qu’une fille avilie, au physique quelconque, sans grâce, incapable de résistance
aux attaques du hasard, malchanceuse, sans ressorts, sans originalité, facilement
écrasée par les circonstances négatives qui ne sont pourtant pas plus négatives pour
elle que pour les autres, sans esprit combatif, sans nerf de contre-
Rentrée en son logis de fonction -
Le logis n’est pas très meublé. Le SSO et son assignement à résidence contraignaient
à vivre dans un intérieur luxueux immuable dans lequel rien de personnel n’était
autorisé, avec des meubles censés donner chaleur et confort dans les couleurs beige,
or, violet. Quelles couleurs trouver pour la vie ? Il faudrait écarter celles-
Les Maurice avaient un statut légèrement différent pour la reproduction, ils ne pouvaient imposer aux femmes d’être mères de leurs enfants mais, comme beaucoup d’entre elles après leur enfant unique autorisé ou après s’être vues refuser la procréation à cause d’un supposé problème relationnel, génétique... n’avaient aucune autre possibilité de maternité qu’eux, les demandeuses étaient en nombre, le choix considérable, et le plus dur pour eux était d’échapper aux pièges qu’elles leur tendaient. Un Maurice n’est pas limité à quatre pour la reproduction, on connaît des cas d’autorisation illimitée. Les photos de «famille» sont touchantes.
III
Une attaque de rue au quartier ouest. Les forces de police intervenues pour protéger
les véhicules convoités par les voleurs et les deux magasins simultanément cambriolés
demandent des renforts acculées contre un immeuble qui tient ses portes fermées.
Heureusement que les armes sont rares grâce à leur recherche systématique. Myriam
ordonne la convergence de deux unités spéciales de lutte contre le grand banditisme
et de trois modules sécuritaires. Elle se rend elle-
Un ancien collabo qui a bénéficié de la loi d’amnistie a le toupet de se présenter au commissariat; il prétend qu’il représente une association qu’il a baptisée «Les droits de l’homme», avec laquelle il a recommencé le travail de sape contre son pays.
Il demande des comptes sur le traitement des prisonniers. Myriam n’a pas le droit de l’incarcérer, il ressort libre.
Les autres membres de la bande sont des jeunes; un interrogatoire sans faille permet d’être certain qu’ils ne sont pas de simples voleurs; ils ont été endoctrinés par les plus vieux, des musuls fanatiques de meurtre et de sang qui se cachent à nouveau derrière nos naïfs benêts de la taulairance. Avec leur petit sourire malin, ils invoquent les «droats de l’ôme», le système qui leur avait permis l’invasion dont la guerre de justesse a sauvé le pays.
Myriam est sur le point d’appeler les militaires pour les trois plus vieux quand Madox arrivé en trombe au commissariat «exige» d’être reçu de «Madame la Commissaire en chef». Il a été prévenu par le représentant de l’Association des droits de l’homme de laquelle il fait partie, oui, dont il est président en fait.
Elle hésite à peine, décide de le recevoir. Pas sûre de la raison véritable.
Madox est très énervé. Il déclare inique, înîîque, le comportement policier, il va
avertir la presse («Presse SS !», criait la foule à la libération tant avait été
important le rôle des journalistes qui par leur «liberté d’opinion» avaient empêché
sans scrupule coûte que coûte les patriotes de lutter contre l’invasion rampante,
empêché la «liberté d’expression» des patriotes par tous les moyens du journalisme,
et se remplissant les poches), elle va vous démolir la presse («Presse SS» entend
dans sa tête Myriam qui ne connaît pourtant la période de la guerre que par les documentaires
-
Voilà donc Madox. Elle l’écoutait, assise confortablement dans son fauteuil, les bras sur les accoudoirs, il était dressé devant le bureau, furieux. S’il était président de cette association ce devait être récent, l’information n’était pas encore sur son écran qu’elle venait de consulter.
«Etes-
«Avez-
-
-
-
Elle sonna, un policier entra : «Reconduisez Monsieur.» Monsieur partit de lui-
Les deux affaires avaient donc un lien, elle ne s’en serait pas doutée. Ce lien était Madox.
On remit les trois plus vieux des terroristes à la sécurité militaire et on contacta la service des psys pour les autres. Ces jeunes avaient été manipulés mentalement, il aurait été irresponsable de les relâcher sans les avoir guéris. Quant au jugement de la justice il n’aurait plus lieu d’être si la réinsertion pouvait être réussie au simple niveau policier.
Assurer la tranquillité des citoyens dans un monde traversé par les courants d’air des médias nécessite un sens aigu du devoir patriotique. Le mondialisme n’est rien d’autre que l’invasion autorisée pour des populations à plus fort taux de reproduction. La presse est le système de condamnation sans jugement des résistants. Elle reste l’instrument de manipulation mentale n° 1 entre les mains des ultrariches et des politiques qu’ils ont «aidés». Seul parmi les dirigeants du monde notre Général échappe à ce système et, sous son autorité, notre système politique, revu et corrigé à tous les niveaux (commune, département etc...) directement par les citoyens, évite la contamination. La vigilance ne doit jamais se relâcher. Sinon la corruption plante à nouveau ses crocs dans la chair de l’état. Des hommes politiques à la parole aisée, au charisme certain, bien appuyés par la presse libre vendue aux plus offrants, démontrent que le mal est le bien, que livrer son pays aux musuls envahisseurs est généreux, glorieux, que la baisse de la natalité doit être traitée par l’importation massive musul et la disparition des nôtres... ils sont vite riches... ils sont dévoués au pays mais si leurs profits baissent leur dévouement laisse vite sa place à ceux qui parlent moins bien, qui ont moins de charisme, souvent plus de capacités véritables, et toujours plus de souci des intérêts communs. Madame la Commissaire doit continuer à son échelle l’oeuvre du Général; son action permet aux trois bombes de ne pas avoir été inutiles. Le système de protection contre les invasions rampantes a ses défauts, bien sûr, tout système a ses défauts mais, ailleurs, au lieu de les assumer politiquement, on fait semblant de croire qu’il ne s’agit que de problèmes occasionnels que l’on peut résoudre sans peine au fur et à mesure. La liberté de la presse implique la corruption de la presse. Pas totale, certes pas. Mais sa corruption sporadique est un élément à assumer de cette liberté. Donc Madame la commissaire fignole son communiqué. Elle soigne aussi par quelques coups de téléphone ses relations avec les journalistes avides d’informations confidentielles, de précieuses pauvretés qu’ils seront seuls à savoir ou plus exactement les premiers, et la corruption de la presse en promettant aux rédactions et aux directeurs quelques avantages (protection, pardon des offenses, rencontres entre responsables...)
Ceci réalisé en professionnelle avisée, Mme la commissaire réfléchit, eut un sourire, subodora et alors sortit pour se rendre au bar du coin. Madox était bien là. Il la rejoignit presque aussitôt au zinc oubliant sa consommation à sa table et en reprenant une autre.
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Elle réfléchit un instant au marché.
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On changea alors de sujet, la prochaine course des grands voiliers occupait toute la ville, ils se fondirent dans la salle, des pronostics furent échangés avec des voisins de comptoir, quelqu’un cria sa certitude, une victoire de «La Boudeuse», et fit rire, on lui répondit par des quolibets. Madox s’éclipsa pour exercer un droit de visite aux jeunes arrêtés, après une courte communication téléphonique de Mme la commissaire. Elle se rendit ensuite à une réunion à la mairie pour une dernière mise au point du dispositif de sécurité le dimanche de la fête sportive navale.
Comme elle manquait de bonheur sexuel elle fut sur le point d’aller voir un Maurice mais des gens la saluaient, elle commençait d’être connue ce qui veut dire que l’on saurait. Les activités d’une commissaire en chef, sans qu’elle soit surveillée, sont cancanées par tous. La fonction est même plus en vue qu’une célébrité de cinéma, sans aucune possibilité d’invisibilité. Une ancienne Brigitte qui court aux Maurice dès qu’elle a du temps libre, c’est une pute en manque. Oh, elle ne sortirait pas de la légalité, pourrait même prétendre qu’elle prouve ainsi son adhésion totale au système... le jugement sur elle n’en serait pas moins négatif et en ce qui concerne son autorité serait lourd de conséquences. Le choix des pères aussi serait lourd de conséquences. On n’échappe pas à son métier dans son intimité ou le métier vous quitte tout à fait, il est plus jaloux que le plus jaloux des maris.
Elle roulait, lentement bien sûr, sans but après avoir renoncé avec bon sens à sa visite sexuelle, quand elle aperçut Diane et comprit alors pourquoi elle avait tourné et changé de direction : son passé ne la quittait pas, il l’avait ramenée à une de celles qui en faisaient partie et permettaient à l’inconscient l’excuse de la surveillance professionnelle.
Diane était méconnaissable. Bien fringuée, digne; elle avait un cabas, elle achetait
des légumes à l’étal extérieur d’une épicerie. Diane en cuisine ? Mais... Elle était
inimaginable aux fourneaux. Myriam faillit rentrer dans la voiture qui la précédait,
elle freina de justesse. Une réinsertion miraculeuse ? Allons donc, pas de Lourdes
pour les putes. Myriam n’appliquait pas ce mot au SSO mais à l’évolution ultérieure
de Diane. Cette fille devenue normale, à sa place dans une foule, sur laquelle ne
déviait aucun regard en biais, la même et une autre, avait abandonné les désirs et
les rêves pour l’élaboration du menu du jour. Elle avait cessé de servir d’aphrodisiaque
à une société avide d’excitations pour fuir le stress permanent qu’elle engendre.
La perversité de celui-
Aujourd’hui Myriam est vers le haut de l’échelle. Doit-
Son petit tour en voiture la ramena chez elle d’assez méchante humeur. Tous les atouts dont elle disposait la contraignaient à ne pas s’en servir, sinon sa réputation personnelle ou de professionnalisme en souffrirait et à terme elle les perdrait. Ses atouts, ses avantages, dus à sa place, à sa fonction, à son pouvoir, étaient les barreaux dorés d’une cage. Une cage après la cage de la formation, après la cage du SSO, après la cage de l’éducation, elle avait seulement été changée de cage.
Assise sur son canapé Myriam pleura. Jamais elle ne s’était sentie aussi seule. Dans les pires heures de sa vie elle avait trouvé le soutien moral, la force de tenir, dans l’idée de sa future fonction, de la revanche; elle serait en haut ! Elle était en haut : elle n’avait plus de but à atteindre, plus de force intérieure pour supporter les coups; il n’y avait d’ailleurs plus de coups à encaisser. Elle était tout seule, absolument seule.
Alors elle pensa à ses enfants. Eux pourraient remplacer un but. De possibilité ils étaient devenus nécessité. Elle avait absolument besoin d’eux. Pour vivre, tout simplement.
Elle regarda ses fiches. Il en fallait plus, elle voulait un bon père à son idée. Et bientôt. Que le vide autour d’elle qui entrait en elle disparaisse par la magie de l’enfant.
Mais il était temps de retourner au travail. Après tout c’est le premier et le plus important des sites de rencontre. Il fallait qu’elle règle un problème au siège de la loterie des drogues. Des doses disparaissaient. L’équipe des stups était en place et épluchait minutieusement les dossiers, interrogeait de façon répétitive le personnel, fouillait à la recherche d’indices. Toute société a ses drogues, les religions ne suffisent pas, l’ambition ne suffit pas, l’amour ne suffit pas... Notre Général n’a pas voulu interdire ce que l’on n’arrive jamais à interdire; il n’a pas voulu pour autant la liberté de commerce pour des produits dangereux car beaucoup de gens sont des vaniteux faibles; il a estimé préférable de légaliser en limitant les possibilités et de donner le sentiment de justice, d’égalité des chances, au moyen de l’injustice du hasard. Donc on joue et si on gagne une dose sans être consommateur on peut la revendre; mais certains profitent des états de manque pour exiger des sommes extravagantes ou des faveurs de genre particulier; il est difficile d’encadrer le vice : ce qui cesse d’être considéré comme vice engendre pire pour ne pas disparaître; les sadiques ont ainsi leur bonheur assuré par la loi; tout le monde a droit au bonheur, il faut néanmoins sauver les victimes du bonheur des bourreaux, c’est la base d’un système social démocratique. Du reste cette loterie n’a pas d’effet plus pernicieux que la loterie des voyages ou la loterie d’argent. Tous ces jeux ont leurs effets pervers et ces effets sont la vraie motivation de ces jeux; sans eux ils n’attireraient pas tant.
Elle arrive à un moment où le directeur de l’agence semble acculé. On le harcèle de questions auxquelles il ne sait pas ou ne veut pas répondre. Myriam reconnaît un ancien Maurice de sa conscription; en place depuis peu, comme elle, il a des difficultés à s’adapter, il lui réplique qu’il n’a rien fait depuis son arrivée, il a tout laissé en état de peur de commettre une gaffe; forcément qu’il ne sait pas répondre aux questions, le personnel dirigeant en place lui a caché ce qui n’allait pas. Elle se souvient que, au temps du SSO, parmi eux le bruit courait qu’il tenait grâce à la drogue et que ses jours de congé il les passait à «payer» ses doses. Que l’on ait fermé les yeux à ce moment se comprend, son prédécesseur à elle avait dû juger plus nécessaire de protéger le système global qu’un individu, mais de là à lui confier cette loterie...
Un policier vint lui parler à l’oreille.
«Tu es remplacé» décida-
Il aurait encore une chance; elle avait fait pour lui le maximum en lui évitant la justice. L’affaire restait administrative. Une courte note dans les journaux au lieu d’un article avec photo.
L’ancien Maurice pleurait en prenant ses affaires personnelles, tout le monde regardait ailleurs, on souhaitait être rapidement débarrassé de son malheur.
Elle laissa ce drame et se rendit à un autre. Une querelle de voisinage dans la banlieue
nord avait dégénéré en conflit racial. L’origine n’était pas claire. Impossible de
savoir où étaient les torts au départ. Ensuite des arabes sortis de nulle part étaient
accourus au secours des arabes et ils avaient massacré leurs adversaires. Une nouvelle
fois se posait la question de leurs caches. Où se tenaient-
Asma réapparut. Madox le signala comme il le devait. Myriam jugea préférable de la
rencontrer et de l’interroger elle-
L’appartement de Madox était le plus lumineux et le plus vaste qu’elle ait visité. En ville sur le toit. Assurément ses moyens étaient importants. Il est vrai que ses publications historiques étaient parfois délibérément très accessibles au grand public, de la vulgarisation estampillée accès aux arcanes de la science historique. Il y avait eu l’héritage de sa première femme aussi, après celui de ses parents. Il avait de quoi entretenir cette pute de luxe, plus jeune de trente ans, de la faire accepter comme une compagne, de l’imposer à ses nombreuses relations. Lequel tenait l’autre ? De vraies fausses relations, un vrai couple en somme.
Le parti pris était à l’évidence de considérer Myriam comme une invitée et Asma comme une convalescente. A l’entendre lui, sans être au courant, on aurait pu croire qu’elle sortait de l’hôpital.
L’hybride se laissait regarder dans les yeux sans aucune réaction. Elle était toujours aussi superbe. A coup sûr on n’avait pas voulu attenter à sa beauté. Tandis que Madox s’agitait, préparait les boissons, parlait, parlait, Madame la commissaire sentit peu à peu, venant d’Asma, l’énorme poids de la passivité. Un champ de force terrible, qui s’étendait lentement et contre lequel elle ne savait pas encore lutter.
La jeune fille n’avait rien vu, on lui avait mis un bandeau sur les yeux. Elle avait eu peur, très peur. Elle ne savait pas qui lui en voulait ainsi. Elle était reconnaissante à Madox d’avoir payé la rançon.
Mme la commissaire le regarda avec une légère surprise. Il était confus, gêné, comme s’il ne s’attendait pas à cette révélation. Il lâcha un chiffre. Elle ne dit rien, elle avait surveillé ses comptes, elle savait qu’aucune grosse somme n’en était sortie.
Son regard toujours assez fixe, qui ne cille pas, s’attarde sur l’une, sur l’autre; ils opposent les blindages de la passivité pour l’une, de l’hyperactivité pour l’autre; aucun ne se montre.
Madame la commissaire en chef affirme que l’on recherche activement, que l’on trouvera les coupables. Elle souhaite un prompt rétablissement à la victime. Ils la raccompagnent à la sortie.
L’hybride lui prend la main et, quittant la lenteur de parole, avec une douceur qui
endort la méfiance et permet à la flèche de ne pas être écartée, elle dit : «C’est
vrai que vous avez été une Bri...» Madox la pousse brusquement en arrière. «Excusez-
Myriam se retrouve dans la rue encore stupéfaite. Il faut savoir qu’une telle phrase chez nous équivaut envers une personnalité à une véritable agression. Et le côté délibéré de la provocation n’était pas à mettre en doute.
En rentrant dans sa voiture elle jeta un coup d’oeil de biais rapide vers leurs fenêtres, elle eut le temps d’apercevoir le visage rieur d’Asma que Madox tirait en arrière.
Une telle provocation était quasiment une tentative de séduction; elle contraint
à une relation -
Myriam a arrêté sa voiture afin de réfléchir. Pour la première fois elle réalise
la danger de sa fonction. Elle est forcément une source d’intérêt avide des pervers.
Pourquoi cette fille a-
Au-
L’appel de la punition repoussé, avec l’offre si insistante de passivité, il restait à élaborer un plan de défense, ce qui imposait une surveillance continue de ces gens pour trouver les failles, présentées par eux ou leurs amis au sens large du terme; le prétexte légal était le danger potentiel couru par la victime tant que les agresseurs n’avaient pas été identifiés.
Madox avait eu très peur lors de la disparition, pas Asma. Il aurait fallu qu’elle soit très forte pour récupérer aussi vite. Il était d’intérêt public de découvrir le marché véritable qui avait eu lieu. Quel était le prix de la fille ?
Et puis cette phrase qu’elle avait cru entende crier par l’hybride rieuse alors qu’elle partait, tournait le dos et que la porte se refermait : «Tu avais le numéro combien ?» Myriam ferme les yeux fort; ce chiffre est marqué au fer rouge dans sa tête. Ce chiffre qui ne veut rien dire à personne est pour elle seule un cauchemar permanent.
Elle ouvre les yeux sur le parking, elle voit le chiffre, elle entend la voix d’Asma.
Mais celle-
Qui est derrière ce jeu et manipule déjà Madox ? Qui veut déstabiliser le système en déstabilisant celle qui a le pouvoir policier ? Il s’agit là de procédés de guerre psychologique qu’elle a étudiés de façon approfondie lors de sa formation, elle ne devrait pas être si surprise... mais tant que l’on est dans la théorie...
Son portable sonne. C’est Madox. Il veut s’excuser, expliquer qu’Asma après sa séquestration
a besoin de temps et d’aide pour redevenir normale. Il n’y aurait pas de conséquences,
n’est-
«Ma société a des défauts, énormes, je le sais, mais c’est la mienne, je la défendrai jusqu’au bout.
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Elle pressa le bouton «fin de communication». Asma devait écouter la conversation. L’avertissement pour ceux qui la contrôlaient était clair. Ils comprendraient que la guerre n’était pas que de leur côté, que leur guerre n’était pas invisible. Myriam a eu une vie dure et humiliée mais elle est une fille du Général.
IV
Michel exposait avec force gestes enthousiastes son grand plan pour enrayer le déclin
de l’économie face aux pays émergents. Ce jeune professeur de faculté amusait Madox
par ses convictions. Une science qui a besoin de convictions cesse d’être une science.
Michel enseignait donc l’économie avec un charisme qui, en soi, rendait le contenu
de ses cours aussi douteux que celui de Madox pour l’histoire. Une vingtaine d’années
les séparait mais la duplicité sulfureuse de l’un attirait la candeur de l’autre.
Peut-
Le fameux plan comprenait une reprise de l’immigration, d’une part pour baisser les salaires en augmentant l’offre ouvrière par rapport à la demande patronale sur le marché de l’emploi, d’autre part pour remplacer une population vieillissante par une plus jeune. «C’est gentil, ironisa Madox, de rayer d’un trait de plume ma civilisation pour la sauver. Vous tuez le malade au nom de la santé.»
Michel s’esclaffa. «Mais non, voyons, répondit-
«On a vu ça avant les trois bombes, reprit Madox, les immigrés n’étaient plus assimilés, les médias interdisaient même de dire que la seule intégration est l’assimilation ou que le pays se défait. Les musuls envahissaient avec leur religion, leurs coutumes, leurs lois; ils remplaçaient notre langue par la leur, notre histoire par la leur. Dans nos écoles ils faisaient la foire, ils refusaient d’apprendre, sur ordre des parents, avec beaucoup de petits sourires que les naïfs prenaient pour de la gentillesse.
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La sympathie est un piège pour les idées. On ne refuse pas l’accès à sa cité mentale quand ceux qui veulent y entrer savent vous plaire. On oublie même de se demander pourquoi ils veulent y entrer. Michel est vraiment le gars sympa. Un gars bien, droit, net, franc, pas de bavures; et tellement agréable à fréquenter : pas d’anathèmes, jamais de mauvaise humeur, ouvert, tolérant, généreux... Nous connaissons tous des gars de ce genre même ceux qui préfèrent les éviter par une sorte de jalousie. On est moins bien. Eh oui. Cela n’empêche pas qu’ils existent. Quand ils ne font pas attention à nous, on leur en veut. Personne n’apprécie d’être une quantité négligeable pour un gars sympa.
La cible de sa sympathie est à l’évidence Madox. La relative célébrité de ce dernier suffirait comme justification; tous ceux qui ont des esprits conquérants ou frileux essaient de se rapprocher des alphas, de leur lumière qui montre le chemin ou de leur chaleur rassurante. Michel appartient à la première catégorie en principe.
Toujours est-
Les détails ne sont pas connus mais il semble bien que le charme de l’hybride et le charme du gars sympa aient aussitôt fusionné au mécontentement compréhensible des deux autres; et grandissant au cours du repas à quatre devenu repas à deux avec deux gêneurs.
Myriam apprit plus tard de Diane à quel point elle avait redouté ce dîner à cause de Madox, sa panique dès que Michel lui en avait parlé, ses efforts désespérés pour y échapper. Mais lui suivait son idée. Il avait insisté. Il ne comprenait pas sa résistance. Elle avait peur que Madox ne donne, par pure perversité, des indications sur des moments de sa vie qu’elle voulait dans l’ombre. Elle tremblait au sens propre du terme dans la voiture en se rendant au dîner.
Mais le danger n’avait pas été là où elle l’attendait. Aussi démunie contre celui-
Diane et Madox restaient sur la rive regardant Michel et Asma s’éloigner. Elle, elle
n’était pas en mesure de lutter; jamais elle n’avait été capable des efforts pour
s’imposer ou repousser une attaque; quand une «amie» le lui reprochait elle s’appelait
elle-
Le bon petit dîner à deux eut un après-
Asma crut longtemps à un nouveau jeu de Madox. L’hybride, totalement pervertie par lui, était totalement «innocente», sans calculs, sans boucliers contre l’existence, elle ne prévoyait rien, ne projetait rien; sa vie était comme ça et voilà. Pourquoi des cris quand on pouvait s’amuser ?
La nuit mit du baume sur les rancoeurs. Les laissés pour compte présentèrent bonne
figure au petit déjeuner. Fille-
Notre société entière est basée sur la compensation. Par exemple une travailleuse du SSO n’est pas réinsérée, son handicap social légal est compensé légalement. Etre pauvre est compensé par les meilleures places, quoique à bas prix, aux concerts; avoir un travail plus fatigant est compensé par des jours de congé supplémentaires; être physiquement fragile est compensé par des horaires de travail allégé... etc... Le Général en refondant notre société a exigé que l’inégalité soit compensée par l’inégalité. Il a ainsi défini un état de droit sans défavorisés. Globalement s’entend. L’imperfection humaine est naturelle; au lieu de déclarer l’humain perfectible, il a choisi de corriger l’imperfection naturelle par la compensation. Chacun pèse le même poids de bonheur. En théorie.
La pratique souffre de l’instinct de mort qu’il faut corriger si nécessaire, et c’est
souvent nécessaire. Des spécialistes docteurs opèrent les réajustements mentaux indispensables.
Abandonné à vous-
Diane et Madox ont droit au bonheur. Asma et Michel ensemble en auraient beaucoup et eux pas du tout. La justice de l’amour ne peut pas être celle de la loi. Diane se dit qu’elle n’hésiterait pas à demander légalement, en tant qu’ancienne du SSO, un réajustement psychologique de Michel pour sauver son droit au bonheur à elle qui ainsi ne s’opposerait pas au sien. Quant à Madox il avait justement promis à Madame la commissaire en chef que les psys sauveraient Asma.
«Que toutes les religions soient tolérées pour qu’aucune ne puisse te gêner.
Si possible, dans la limite de tes loisirs, appartiens à plusieurs religions.
Les religions sont très utiles pour occuper beaucoup d’inutiles.»
Ces préceptes de la chanson du bonheur que l’on apprend étant enfant sont incrustés dans les têtes et l’ensemble forme notre vérité. Nul n’est dupe de sa relativité. Mais l’absolu a coûté trop cher en vies humaines, il a failli anéantir notre société. La civilisation qui a raison est celle qui survit.
Myriam est catholique essentiellement mais elle porte sur elle un pied de Vichnou,
un oeil de Jéhovah, des cheveux de Bouddha et une dent de Mahomet, en porte-
Canaliser les superstitions dans les religions permet un travail simplifié pour les
psys et la police. Du reste la prudence plurireligieuse n’empêche pas la foi. Elle
empêche seulement les ennuis et l’accusation de fanatisme, c’est-
Si Myriam est une convaincue de Dieu, Madox et Michel parlent de singeries post-
En pleine activité religieuse Myriam passa d’une église à une synagogue puis à un temple bouddhiste. Le grand public, si on ose dire, ne la connaissait pas mais les dirigeants partout reconnaissent les dirigeants. Elle était soigneusement traitée comme les anonymes car une Commissaire en chef qui se déplace pour surveiller peut être susceptible.
Dans le cas de Myriam ils avaient tout à fait raison, la suite de sa longue carrière l’a amplement prouvé. Mais on n’en était pas à l’appeler «la teigne». On considérait que l’on n’avait rien à cacher ou que c’était très bien caché, voilà. Mahomet s’étant montré insuffisamment aimable eut droit à un redressement fiscal dès le lendemain.
Les coins des moquées étaient particulièrement surveillés. Les musuls entrés illégalement tôt ou tard s’y montraient. On ne les arrêtait pas; sans le savoir ils conduisaient aux autres. Alors on opérait une descente, immanquablement ils résistaient, une fusillade éclatait; sans cesse ils essayaient de reprendre la guerre en important de nouveaux hommes, de nouvelles pondeuses, de nouvelles armes. Il fallait bien les tuer car on ne pouvait pas s’en débarrasser autrement. Pourtant on en tuait le moins possible par ordre du Général. Celui que les pays musuls ingrats appelaient «le grand assassin» a en vérité sauvé plus de vies des leurs que personne. Il a d’ailleurs refusé l’attaque contre ces pays pour les décimer. Non pas à cause des prétentieux étasuniens, qui le prétendent, mais par pure bonté. En effet aucun pays plus grand n’est mieux équipé en armes dissuasives impossibles à intercepter. La sagesse des états tient au respect du fusil.
La mosquée visitée par Myriam ce jour-
La mixité avait été imposée dans les mosquées comme ailleurs et elle put enquêter
en suivant les formalités culturelles cultuelles, y trouva des régressions vis-
On ne peut pas toujours résoudre les compliqués problèmes. Du moment qu’on ne l’exige pas en haut lieu... Bon, faut pas s’gâcher la vie avec de l’insoluble.
Ensuite elle se rendit dans son centre esthétique habituel, l’utile se joignait à
l’agréable, elle avait à rencontrer deux informatrices qui y travaillaient, l’une
blanche l’autre maguerébine intégrée donc coopérante. Elle n’apprit que des choses
à ne pas savoir sur le meurtre de la mosquais dont l’enquête était d’ailleurs close
depuis quelques minutes. Des meurtriers dont on peut avoir encore besoin, dangereux
seulement pour les ennemis de l’état, ne sont pas à coffrer. Le discernement dans
les pratiques policières et judiciaires met leurs défaillances là où elles sont nécessaires.
Quand votre probité risque de nuire à votre société, les lois suprêmes non-
Les anciennes du SSO ont appris, à leurs dépens, l’art de plaire ou du moins d’être plaisantes. Elles savent paraître différentes pour des clients différents. Fards, vêtements, comportements doivent varier selon la demande implicite. Leurs habitudes chez les esthéticiennes et dans les magasins de mode n’ont donc rien de surprenant et leur temps terminé elles les gardent le plus souvent. Ceux et celles qui les reçoivent dans le cadre de ces métiers savent changer subtilement de ton, d’attitudes, s’adaptent en somme à ces clientes qui ne sont plus les mêmes. Du reste qui ne cherche pas à plaire à quelqu’un dans notre société où il est imposé de paraître jeune et dynamique, où il faut savoir vendre et se vendre ? Tout est commerce, même la médecine ou vous changerez de médecin. Par nécessité sociale tout le monde est con et tout le monde est pute. Les religions aussi se vendent, elles racolent les clients. Ou l’âme fait le trottoir ou elle fait la manche.
Myriam était donc en terrain de longue connaissance et en jouait sans scrupule mêlant
l’autrefois et le bâton policier d’aujourd’hui. Aucun renseignement cancané dans
les nobles établissements du physique féminin ne lui échappait. Il n’y avait qu’à
discerner le vrai du faux, or le faux fait davantage rêver, il est plus séduisant,
se métamorphose pour vous attirer, sans états d’âme et sans limites, il vous fait
l’amour avant que vous vous soyez rendu compte que vous en aviez envie tandis que
le vrai reste lointain, froid, assez dédaigneux. La vérité sort toute nue de son
puits d’eau glacée et glaçante. On préfère un film policier à la police. On préfère
une énigme judiciaire à la justice. La formation de Myriam l’a dressée à écarter
la séduction du faux, à écarter les rêves éveillés. Qu’est-
Dès le lendemain elle eut droit à son bureau aux réclamations et aux plaintes d’obscures
associations qui menaçaient de tout révéler à la presse. -
Peu après eut lieu la seconde disparition d’Asma. Myriam l’apprit directement d’un
Madox apeuré et effondré. A l’évidence on le tenait par cette fille trop belle, trop
jeune. Le premier essai avait été concluant donc les «ravisseurs» recommençaient.
Les faits prouvés ne mirent en évidence aucune résistance de l’hybride. Très probablement
elle avait rejoint sur ordre ceux qui l’avaient placée auprès de Madox. Lequel avait
une réaction comparable à l’état de manque des drogués. Mais cette fois lui-
Pas d’exigences.
Mme la commissaire en chef dut conclure que Madox était utilisé pour l’avertir elle
de capacités de nuire en représailles après la visite, pourtant relativement courtoise,
de la mosquais. Le redressement financier surtout devait avoir déplu. Apparemment
dans l’esprit de ces gens on était revenu à la situation d’avant-
Myriam se contenta d’attendre pour voir d’où viendrait l’attaque médiatique sans laquelle l’enlèvement serait inopérant.
Elle chopa à la source l’article dans une revue intellectuelle («Connaissance de
l’étranger») d’un djournaliste qui jeune avait été «formé» par Pourat et Louzette
deux ordures collabos qui avaient émigré au début de la guerre mais qui avaient été
rattrapées et tuées. Le système choisi était celui de la boule de neige qui grossit
en cachant son origine, le noyau. La commissaire était mise en cause, le djournaliste
sous-
Notre Général, dans sa sagesse, a exigé que la presse soit libre et que sa liberté
soit protégée contre elle-
Dès le surlendemain des groupes de citoyens s’offusquèrent d’avoir vu leurs réactions
aux articles d’un journal en minuscules caractères, noyées dans les publicités et
les annonces d’enchères, de naissances, d’enterrements. «Presse SS ! Presse SS !»
Les djournalistes avaient le droit effectif de développer leurs thèses mondialistes
anti-
L’arrogance journalistique se changea bientôt en panique. Madame la commissaire assura les journalistes de tout son appui. Elle se rendit même sur les lieux assiégés par les manifestants et, parce que la parole vaut mieux que la violence, organisa des discussions plutôt que de disperser brutalement les citoyens mécontents, ce qui aurait provoqué des rancoeurs. Il faut beaucoup de doigté dans ces circonstances délicates.
Enfin les journalistes ayant suffisamment la frousse pour respecter les libertés
des autres, la presse renonça à sa tentative totalitaire et se remit au service de
la société qui lui permettait d’exister. Elle rendit justice dans ses colonnes à
l’aide éclairée de Madame la Commissaire en chef qui avait su privilégier la conciliation.
L’entente sociale prenait de nouvelles forces du respect mutuel. L’harmonie citoyenne
n’est-
Asma ne réapparaissait pas. Les «ravisseurs» ne se reconnaissaient pas vaincus. Leur haine de notre société dont ils voulaient s’emparer pour la convertir de force à leur obscurantisme, justifiant toutes les abominations, tentant de corrompre tous ceux qui avaient une place susceptible de les servir, ne serait jamais que cachée. L’éradication devait être achevée, on n’abrite pas la haine de soi chez soi, elle n’est pas un hôte admissible.
Tant que rien ne bouge, il faut être patient, attendre. L’ennemi lui attend que le gardien somnole, s’endorme; son fanatisme d’envahisseur lui donne sa vigilance. Il suffit de lui laisser croire que l’on somnole, que l’on s’endort dans une paix bienheureuse, on aurait fini par la croire sans problèmes, définitive. Myriam attend que les rats sortent, elle ne relâchera pas sa surveillance, elle donne l’impression de ne plus se soucier des rats, elle a tant de travail, gérer la surface lui suffit...
Deuxième partie :
VIRUS
I
Michel après une BA (bonne action) et un travail de BE (bon enseignement) rentré chez lui prit une BB (bonne biture). Il s’en remettrait demain matin par une BM (bonne marche) et une BN (bonne nage). Avant de rentrer il avait rendu visite à une BP (bonne pute), non officielle toutefois : personne n’est parfait.
Ses idées étaient passablement confuses après deux verres seulement quand il vit dans l’un de ses fauteuils, le regardant, Asma.
«Je suis venue habiter avec toi, je ne veux plus habiter avec Madox», dit-
Il se sentit envahi d’un puissant bonheur qui pulvérisa causes et conséquences. Sa tête n’était pas habituée à la boisson; elle avait eu besoin de l'aide d’un verre quand il avait eu du mal à supporter qu’Asma soit avec Madox, de deux quand elle avait disparu. Diane lui avait fait des scènes, puis elle avait renoncé, puis elle avait bu plus que lui. Aujourd’hui elle avait dû rouler sous une table dans l’un des bars qu’elle fréquentait avant de la connaître. Elle n’appartiendrait jamais à la BS (bonne société), ses fonctions de contrôleuse des finances n’y changeraient rien.
Une larme d’extase alcoolo glissa des yeux de Michel, le rêve devenait réalité, le bonheur le ramènerait au régime sec. A condition que la belle image devienne douce matière. Rien ne vaut une BJ (bonne jouissance) pour vous rendre la BH (bonne humeur).
L’hybride se leva; de sa démarche dansante, nonchalante, s’approcha :
«Tu veux bien de moi ?»
Elle passa ses bras autour de son cou. Elle était réelle.
Ce n’est que le surlendemain que Madame la commissaire en chef apprit la réapparition que l’on n’attendait pas à cet endroit. A l’évidence les «ravisseurs» avaient voulu punir Madox et récompenser Michel, mais de quoi ? Il y avait matière à réfléchir.
Quand Madox, toujours si inquiet, apprit par un ami la bonne nouvelle, il ne se sentit pas mieux. Le soulagement ne vint pas. Pire, un poids énorme pesa brusquement sur ses épaules : les trente ans qui le séparaient d’Asma. Le fait qu’elle ne l’ait même pas appelé devait le torturer. Cet homme avait de la peine. Mais il payait le salaire du temps.
On doit objectivement signaler qu’il manqua de dignité. En aucun cas il n’aurait dû se rendre chez Michel. Ce n’était pas convenable. Il le savait mais son respect de soi fut moins fort que son désespoir. Il fit ce qu’il ne voulait pas faire.
Michel ouvrit la porte et réussit à ne pas sembler embarrassé. Asma traînait dans l’appartement en nuisette rose grignotant des gâteaux secs, absolument chez elle. Son visage resta sans expression à l’entrée de Madox, elle avait eu le temps de se préparer à la scène; pas lui.
«Eh bien, je vais vous laisser, vous devez avoir des tas de choses à vous dire...
-
Un bon coup de froid ressenti par les deux hommes mais seul Madox tomba malade. Les premiers symptômes furent une pâleur excessive et une aphonie totale. Il rentra illico se soigner chez lui.
Diane ne parut pas.
Mme la commissaire en chef se doutait qu’une attaque contre elle avait été prévue
mais ne pouvait laisser croire qu’elle avait peur, il lui fallait rencontrer l’hybride;
elle la fit amener au commissariat principal -
«J’ai appris à l’instant que l’on vous avait amenée ici au lieu de prendre votre déposition sur place, après toutes vos épreuves, je suis désolée.»
L’hybride la crut. Elle se plaignit de la brutalité policière, elle se sentait humiliée. Sa beauté n’en avait l’habitude ni avec ses amants blancs ni ailleurs.
En tout cas si on lui avait prévu une flèche du Parthe elle ne fut pas en condition
et n’eut pas le temps de la décocher. Madame la commissaire en chef dut la laisser
de suite appelée par une autre affaire. Elle repartit à pied. De mauvaise humeur
quoique son naturel soit inconséquent et joyeux. Michel n’avait pas pensé à venir
au commissariat. Il l’attendait chez lui en se faisant du mauvais sang. Elle le bouda
une demi-
La presse était calme, les rues étaient calmes, les vices étaient calmes. On regardait
plus la télé et on se disait heureux que règne le calme. Toutefois quelques-
On votait à nouveau, pour élire les députés cette fois. La lutte dans les partis
avait été acharnée pour imposer son dévouement, les vainqueurs du dévouement intra-
La critique, nécessaire, de notre société débouchait sur un révisionnisme. Une marche-
Mme la commissaire en chef dut se rendre dans la capitale à une réunion de tous les commissaires en chef des régions pour une réflexion commune sur le problème du révisionnisme. Car il ne fallait pas attenter à la liberté d’expression.
Elle vit pour la première fois le Général en chair et en os comme on dit. Il vint
au ministère de l’intérieur où le ministre le guida jusqu’à la tribune et il lut
un discours. Plein de sagesse. Cet homme âgé continuait de servir son pays, il était
le symbole de nos libertés contre nos envahisseurs, il rappela le danger des rats,
il rappela le danger du totalitarisme, il rappela que le but des rats était un système
religieux totalitaire. Les solutions miracles n’existaient pas, la gestion responsable
seule offrait une garantie de durée, empêcher les bouffées suicidaires de notre civilisation
était une tâche ingrate mais noble, celles et ceux qui en sont chargés sont méritants
aux yeux de la Patrie. L’expansion du révisionnisme était très relative, le ver nichait
dans les intellectuels qui ont l’habitude de s’opposer pour paraître progressistes;
il ne s’agit que de bulles d’un genre particulier. Leurs liens avec l’étranger qui
met des fonds en sous-
L’assemblée fut heureuse d’entende le Guide dire ce qu’elle pensait. Myriam se sentait confortée dans chacun de ses jugements. Les doutes et les inquiétudes s’évanouirent.
A la télévision on vit «l’ovation des commissaires» comme l’a dit la presse. Le pouvoir était uni. Un.
Des liens personnels se nouèrent entre les commissaires des régions et le banquet final fut presque un repas d’amis.
De retour à son bureau elle nota une attitude plus déférente de ses subordonnés,
oh d’un rien, sensible sans s’appuyer sur des actes ou des paroles, dans la manière
de lui parler, dans des inflexions de voix... Elle-
La «sotteciété» selon le mot ironique de notre Général était à la recherche de couleurs. Elle souhaitait se peindre pour la joie de vivre, en même temps elle jugeait de mauvais goût les couleurs vives. Le grand thème politique de cette campagne était en somme de décoration.
Le bonheur jusque là n’était pas joyeux extérieurement, il se ressentait patriotiquement
mais n’était pas visible. Il était incolore. Les projets des adeptes du rose, des
adeptes du vert, des adeptes du bleu, voire du rouge vif, du blanc etc. hurlaient
sur des affiches sagement collées sur les panneaux officiels. Des proches des candidats
et même certains de ceux-
La sotteciété avait besoin de colorthérapie, de luminothérapie, avait en permanence besoin de toutes sortes de thérapies. Nos citoyens consommaient autant de tranquillisants, de vitamines, de pilules diverses que les riches Quicains, on exportait d’ailleurs du bonheur encapsulé dans le monde entier.
Les dames et les messieurs de la politique se considéraient comme des mamans-
Jusque là nous étions comme en deuil des trois bombes. Non que nous nous sentions
coupables, loin de là, mais la décence après un enterrement, un désastre, une guerre,
impose une certaine retenue. Ces temps-
Evidemment, cachés dans certains programmes de décoration, des virus révisionnistes étaient prêts à proliférer si les circonstances s’avéraient électoralement favorables. Déjà dans les discours les bonnes intentions étaient insensiblement remplacées par la tarte à la crème dégoulinante de la taulairance, écoeurante à force de crème. Cette taulairance avait dépassé sa date de péremption mais ses vendeurs l’ignoraient délibérément.
En pleine campagne des rats sortirent brusquement pour se repaître de l’appétissante et avalèrent un poison qui en tua pas mal et permit d’en capturer beaucoup d’autres.
Myriam avait su attendre, changer grâce à une surveillance constante la taulairance en appât et retirer les bénéfices d’une conduite des affaires responsable. Elle reçut les félicitations personnelles du Général.
Ces clandestins pris jusque dans leurs tanières y préparaient déjà des banderoles
pour «exiger» ceci, «exiger» cela ou... "racistes, sales racistes" -
La surprise pour Madame la commissaire en chef fut de trouver Michel dans ses filets.
Pourtant après la réapparition d’Asma chez lui, elle aurait dû s’y attendre. Elle dut s’interroger sur les raisons inconscientes qui lui avaient mis des oeillères. Les agents chargés de la surveillance des universitaires n’avaient rien signalé mais les preuves dans ce cas n’auraient été qu’une confirmation si sa vue claire des choses n’avait pas été altérée.
Le gars sympa avait failli la piéger. Il n’avait pas eu à se donner de peine pour y arriver.
Elle se sentait vexée.
Et puis -
Du reste on ne voulait pas de bras de fer avec l’université. Pris dans un filet il y trouva un trou à sa taille pour s’en échapper. Ce qu’il fit avec bonne grâce, ni dupe ni assez fou pour refuser.
Les musuls à exigences furent renvoyés dans leurs pays d’origine où ils purent «exiger» tout à leur aise (en réalité ils y fermèrent leur gueule) et la taulairance cessa de polluer notre pays libre de l’immigration. La campagne pour les élections, délivrée, put être une fête et la joie des couleurs l’emporta enfin sur la sotteciété incolore.
Michel et Madox ne tardèrent pas à se réconcilier; à l’initiative du premier. Il avait un vague sentiment de culpabilité envers son aîné; son bonheur, sans en être gâché, regrettait cette paille. Un jour il apparut devant Madox à la fin d’un cours, lequel lui jeta un regard torve. Le gars sympa ne s’en offusqua pas, il s’y attendait. Le prétexte était une étudiante avide de savoir qui suivait à la fois l’enseignement en histoire de l’un et l’enseignement en économie de l’autre, elle avait un problème d’horaire, deux cours ayant lieu simultanément.
Madox jugea l’effort de son cadet méritoire, il n’en aurait sûrement pas fait autant.
Pour marquer qu’il acceptait de tourner la page il demanda des nouvelles d’Asma,
ainsi qu’on le doit pour une personne disparue de notre vie qui restera dans notre
souvenir. Elle cherchait à être mannequin, elle s’était montrée sur quelques podiums;
elle s’imaginait chanteuse également, avait trouvé des copains pour former un groupe,
convaincue que le talent vient en chantant. La sincérité des textes lui paraissait
essentielle, la vérité donnerait sa force au chant; pourtant elle avait des doutes
parfois, venait voir Michel : «Qu’est-
Les deux hommes déjeunèrent ensemble, à l’invitation de Madox. La discussion porta sur les événements récents, c’est logique. Leur problème, jugea Myriam lorsqu’elle en lut le compte rendu, réside dans leur conviction suicidaire que la liberté s’oppose à l’ordre. Ils créent des conflits là où doit régner l’harmonie. Ils mettent de la subtilité intello là où ils devraient être humbles.
Avant les trois bombes la justice avait fonctionné régie par des principes généreux
qui l’avaient rendue inefficace. La compréhension, la tolérance avaient élargi les
mailles du filet judiciaire au point que quantité d’hésitants malfrats passaient
à l’acte en se basant sur un empirique calcul de probabilités pour passer à travers.
Peu passaient. Quelques-
Mais les deux intellectuels produisaient en discours leur monde futur de rêve ignorant
les éléments méprisables de la réalité qui refusaient d’entrer dans leur joli paquet-
Des différences existaient cependant entre les deux hommes. Sur l’immigration essentiellement.
Madox, assez cynique somme toute, ne l’acceptait que régulée alors que Michel, tel
un militant d’avant-
L’université n’est-
De nos jours on surveille les juges pour qu’ils ne lisent pas trop; qu’ils connaissent
les lois et pas plus. Encore faut-
Myriam revit Charlie Charlot; sa première étude du personnage avait été trop rapide
: c’était un réformé. Par ce mot il faut entendre quelqu’un que ses difficultés multiples
rendaient potentiellement dangereux pour la communauté si bien qu’il avait fallu
rendre inoffensive l’arme de destruction qu’il était devenu. La décision est toujours
dure à prendre. Plaignons ceux dont c’est la tâche. Un réformé ne perd pas conscience
de lui-
Le processus est un peu compliqué, nous n’entrerons pas dans le détail du travail des psys et des chirurgiens. En effet il s’avère souvent indispensable de remodeler l’aspect physique du condamné pour éviter les rejets de l’épuration de sa personnalité. J’emploie le mot «condamné» au sens premier, il s’agit bel et bien d’une condamnation et de la plus lourde (la peine de mort n’existe que pour les violeurs d’enfants et les envahisseurs étrangers).
Charlie Charlot était donc un coupable. Un coupable désormais incapable des faits qui lui auraient été reprochés s’il avait vécu sa vie. Bien sûr on lui avait «volé sa vie» pour reprendre l’expression du Général quand il avait exigé, menace de démission à l’appui (la crise fut grave), un système de compensation.
Certains firent la grimace. Donner une promotion aux criminels parce qu’on les empêche
d’être criminels pourrait donner de mauvaises idées aux honnêtes gens. Il est si
difficile d’avancer dans une carrière. Avant-
Un réformé voit son casier effacé. C’est normal. Lui-
Myriam en tant que Commissaire de police en chef ne peut engager son avenir à l’aveugle.
Normalement elle n’a accès au dossier d’un réformé que s’il présente de nouveau un
problème. Sinon le secret est total. Un réformé est ainsi invisible. Mais le fait
d’appeler avec insistance une Commissaire de police en chef, de tenter de la séduire
(grâce au charme si particulier des refaits, qui ajoute l’art et l’imagination des
chirurgiens à la vie) peut être une manoeuvre à mauvaises intentions d’un réformé
qui aurait "émergé" -
Charlie Charlot alors qu’il était Maurice (mais il n’était pas beau comme aujourd’hui)
s’était révolté manifestant des volontés anarchistes qui le conduisirent à poser
des bombes dans le but coupable de détruire un système sociétal qui comblait la majorité
mais pas lui. L’égoïsme était à la base de ses tentatives criminelles, caché dans
un discours progressiste savant, gonflé de références aux auteurs sulfureux d’avant-
Non seulement il eut droit après un nouveau dîner à une refonte de sa fiche mais elle fut classée en troisième position.
II
«Que chacun mange bien.
Que chacun boive bien.
Que chacun baise bien.
Que chacun soit en bonne santé.
Que chacun travaille bien.
Que chacun dorme bien.»
Il n’est pas difficile d’être heureux. Les principes fondamentaux, si vous aidez
les autres à les appliquer et en bénéficier, eh bien ceux-
Les bonnes intentions ne suffisent pas avec les mauvaises personnes. C’est pourquoi une société des bonnes intentions a besoin d’une bonne police. Faire le bien demande trop souvent l’emploi de la force. Sans contraindre la bonté perd vite la face car des gens croient pouvoir être heureux en contraignant les autres, en les dominant, et le bonheur mal compris est un bonheur sans scrupules.
Considérez le cas de Diane. Il faut des gens particulièrement méprisables pour exploiter
sa détresse. Si ces gens n’existaient pas elle serait sortie de cette détresse. Or
des coupables ont préféré leur plaisir au bonheur. Est-
La confrérie des bêtes-
Diane victime ne l’est pas moins parce que consentante. Le consentement à l’inacceptable est un délire passager. Personne ne peut prétendre sérieusement qu’on ne doit pas le traiter. On le doit, évidemment.
Toutefois les victimes sont un ingrédient capital des excès, donc de la canalisation
des excès. L’ordre a besoin des victimes pour ne pas être déstabilisé, perturbé,
voire détruit, par les déviants. Les porcs-
Mais une société digne de ce nom doit assistance aux victimes -
Des droits à un lavage de cerveau et à une compensatioin ?
Madame la commissaire en chef estima que Diane ne relevait pas de la psychiatrie mais du mérite social. Cette subtile distinction était très discutable.
Il est certain que la pauvre «taboureuse» était devenue une loque sans que son ancien
amant Michel s’en soucie. Elle n’était rien pour personne, y compris elle-
Sa décision était-
Ce qu’il y a de sûr c’est que de compensation en compensation Diane, victime légale puis illégale, donnait toute la mesure d’assistance maternelle et paternelle de notre société dans son effort raisonné pour le droit au bonheur.
Naturellement la réformée fut plus belle après qu’avant. Pas spectaculairement, elle se reconnaissait très bien à partir des souvenirs qui lui avaient été laissés. Il avait fallu lui en changer beaucoup.
Qu’une victime subisse le traitement des coupables pour son bien créait un précédent
fâcheux. On le fit remarquer à Myriam. Elle dut s’expliquer devant sa hiérarchie;
le dossier choquait certains responsables, ils jugeaient l’emploi d’une telle procédure
dans un cas pareil incompatible avec le respect de la dignité humaine. Mais quelle
dignité avait encore la fille-
Le rôle des techniques extrêmes est la protection de la société, pas de manipuler l’être humain voire de le refaire.
La bonne intention de Myriam ouvrait la porte à des pratiques nazies.
Elle fut à deux doigts de perdre sa place, d’être remerciée ou du moins rétrogradée. L’affaire remonta jusqu’au Général. Elle vécut dans l’angoisse durant des semaines. Enfin la décision lui parvint, son coeur battit très fort... Le Général avait compris, il avait pardonné.
Quel plaisir de voir Diane dans sa nouvelle vie. Les ombres en avaient disparu. Elle était la joie de vivre sans les vices. Un ange. Maintenant elle n’avait que des souvenirs d’enfance heureux, alors, forcément, elle n’aurait jamais voulu tuer la petite fille en elle, elle aimait trop ses chers parents malheureusement décédés. Elle vivait dans la maison qu’elle avait héritée d’eux et désirait avoir une fille à son tour. Dans son métier d’Agent public du financement culturel elle ne rencontrait guère que d’autres techniciens des finances, elle cherchait à élargir son cercle d’amis.
Un jour elle rencontra Michel, un garçon qui avait cru la reconnaître, qui l’avait prise pour quelqu’un d’autre. Quel sympathique garçon. Dommage qu’il ait déjà une compagne. On ne peut pas créer du malheur en séduisant l’amour d’une autre; si on ne trouve pas le coq en or la première il faut savoir se résigner; soyons optimiste : il n'y en a pas qu'un. Que le bonheur soit. Fiat lux.
Myriam ne s’était plus approchée d’elle. La satisfaction quand elle l’apercevait de loin était mêlée de remords. Diane n’était plus Diane. Elle avait tué Diane en quelques lignes écrites de sa main suivies de sa signature. Chaque jour elle estimait un peu plus qu’elle méritait un blâme. Pour le moins. Le Général l’avait comprise... il pouvait lui faire confiance totalement désormais, jamais plus elle ne ferait une faute pareille.
Plusieurs enquêtes importantes lui demandaient une attention soutenue et occupaient les trois quarts des agents à elles seules. Un délit d’initié à la bourse, une série d’agressions sexuelles sur mineures et une atteinte à la sécurité de l’état par des chargés de bagage de l’aéroport qui s’étaient révélés tous musuls et la plupart entrés illégalement, sans papiers ou avec papiers aujourd’hui, surveillant les allées et venues des gens importants et fouillant leurs bagages, copiant les fichiers de leurs ordinateurs; les renseignements partaient dans leurs pays d’origine.
Pour la sécurité de tous il faudrait surveiller en permanence tout le monde. Mais les finances de l’état ne peuvent pas permettre des effectifs suffisants qui assurent pleinement les libertés de l’ordre. Restent les informateurs. Leurs motivations, en principe patriotiques, peuvent s’avérer personnelles; ils peuvent souffler le faux, on doit se méfier d’eux. Les imperfections du système sont corrigées par l’intelligence de la commissaire, tel est son rôle.
Personne ne remarqua les enquêtes. Quand les arrestations eurent lieu et que peu
de jours après les dossiers complets aux nombreuses preuves indiscutables furent
transférés à la justice, la presse elle-
Le trio Madox-
Voici ce qu’elle vit un jour de sa voiture arrêtée à un feu rouge :
Sur la plage de galets, au bout côté aéroport, courait au ralenti, trébuchant, Asma
rieuse, de biais dans le vent qui affolait ses cheveux; elle se dirigeait vers Michel
assis près des gros rochers qui s’avancent dans la mer, l’embrun des vagues fortes
volait jusqu’à lui, il avait un geste du bras comme pour écarter des insectes. Au
pied de l’escalier qu’il vient de descendre, pas encore décidé, se tient Madox, engoncé
dans son manteau long tandis que les deux jeunes ont presque des tenues de sports
d’hiver. Elle arrive vers Michel, elle lui crie des mots qu’il n’arrive pas à entendre
dans le fracas de la mer. Madox se met en marche, penché contre le vent, les yeux
fixés là-
Le feu passa au vert, Myriam partit avec retard et lentement, leur jetant un dernier coup d’oeil, mais on la klaxonnait (quoique ce soit interdit).
Etrange partie à trois dans laquelle le plus âgé après la réconciliation s’était accroché au couple qu’il ne quittait plus. Michel semblait ne pas s’apercevoir de l’aspect scabreux, voire scandaleux, de la situation. Personne ne lui en parla. A quoi bon ? Notre société respecte les libertés. Que pouvait donc penser Asma voyant son ancien amant, ou plutôt propriétaire, quasiment à demeure chez le nouveau ?
On peut déduire de ce qui suivit que Madox présenta des gens à Michel, des relations pas des meilleures, que le jeune professeur aurait dû éviter. C’est ainsi qu’il rencontra des «hommes de progrès» qui regardaient vers le passé glorieux à leurs yeux, avant la guerre, où les valeurs d’immigration sans limite, de multiculturalisme et pluriethnisme régnaient médiatiquement et politiquement sans partage. Ce passéisme lié au révisionnisme n’était pas dangereux tant qu’il se cantonnait aux rêveurs. Mais des professeurs d’université charismatiques risquent de fédérer, alors se forme une bulle, elle grossit, invisible; gare si on ne la détecte pas.
Une société est comme un grand corps, les êtres en sont les cellules, les globules etc.; si l’un est contaminé, la contamination peut se développer et s’étendre à l’ensemble. Tout être étranger qui se retrouve dans le corps social sans avoir été purifié, soigneusement rendu compatible, sera la cause d’un malaise ou d’une maladie, plus ou moins grave. Si l’agent pathogène est très virulent et s’il ouvre la porte à d’autres de son espèce il tue.
Asma dut être ravie quand Michel par l’intermédiaire de Madox rencontra les siens. Les «ravisseurs». Ainsi elle avait sa grande famille. Tous unis.
Pourtant, on le sait, les idées de Madox sur l’immigration façon avant-
Michel ne pouvait pas avoir l’idéal dans la tête sans qu’il envahisse la tête. Il
était sans immunologie naturelle. Madox, lui, était porteur sain. Mais quand Michel
croyait quelque chose, son manque d’humilité le rendait vulnérable; sûr de son intelligence
il estimait que c’était aux autres de «se remettre en cause» (expression et prétention
reprises au gauchisme d’avant-
Il reste étonnant qu’une grande intelligence puisse devenir le plus virulent des
agents pathogènes d’une société en se persuadant d’agir pour son bien. Les désastres
de l’intelligence sont de tous les temps mais continuent d’étonner. Comment la masse
peut-
Quand on lit dans un journal ou que l’on regarde à la télé une enquête sur les milieux
louches, du sexe, de la drogue, des affaires illicites, de la politique, on a du
mal à croire qu’il ne s’agit pas d’une fiction. «Quoi ! se dit-
Notre société aspire à la paix et non à reposer en paix, nous souhaitons tous l’évolution apaisée dans la sécurité. Nous ne voulons pas mourir. Nous n’hésiterons pas à tuer ceux qui s’introduisent chez nous pour nous tuer. Une civilisation n’est pas mortelle tant qu’elle n’hésite pas à éliminer les agents pathogènes.
A cette époque Madox tomba malade. Il garda la chambre plusieurs mois. Certains le prétendaient malade imaginaire, il aurait fui la réalité par la maladie, il n’aurait plus supporté de voir Asma tous les jours sans la posséder. Dans ce cas la distinction entre maladie imaginaire et maladie réelle ne semble pas pertinente. Quoi qu’il en soit il fut à plaindre tant physiquement il paraissait changé, amaigri, vieilli; dans son appartement il se déplaçait en chaise roulante et une aide médicale venait quotidiennement.
Au début il eut pas mal de visites. Puis elles se raréfièrent. Finalement il n’y eut plus guère que Michel de fidèle. Il rendait visite au moins deux fois par semaine à son ami. Il lui parlait des livres que ce dernier n’avait plus la force de lire, il en lisait même exprès pour lui, des livres d’histoire barbants mais que l’autre avait besoin de connaître pour ne pas être lâché dans sa spécialité.
Asma avait résisté aux instances de son compagnon : «C’est ton ami, pas le mien»,
disait-
Madame la commissaire n’éprouvait aucune inquiétude à leur sujet. Les rapports des
agents de terrain prouvaient une amélioration constante de l’état d’esprit des révolutionnaires
de bureau. L’éclatement de la dernière bulle migratoire les avait laissés à eux-
Notre société fonctionnait bien parce que ses mécanismes de défense fonctionnaient bien.
Aussi, malgré les condamnations multiples, notamment des Etasuniens qui voyaient
en nous un vaste chantier de reconstruction possible s’ils arrivaient à justifier
une attaque et à nous détruire, les envieux pullulaient-
La société d’un état qui réussit est paradoxale : il réussit grâce à la sécurité et cette réussite attire en masse des gens qui représentent une menace pour cette sécurité. Il faut défendre contre eux le modèle qu’ils envient tant en l’insultant.
Bref, à part l’éventuelle succession à notre Général, à laquelle on s’efforçait de ne pas penser, rien ne venait obscurcir notre paix de vivre.
Dans ces conditions Myriam avait pu se consacrer à sa liste de pères et prendre une première décision.
Tout s’était parfaitement déroulé. Le secret avait été bien gardé mais qui serait assez mauvais citoyen pour chercher à le connaître ou le divulguer ? Les hommes se doivent le respect. Révéler ce qui ne doit pas l’être vous place hors respect. Hors société. Les criminels de paix sont des ânes sereins; ils détruisent avec bonne conscience, par naïveté qu’ils prennent pour profonde pensée, le temple des lois et des rites; ils doivent être réformés. Mais qui savait le nom du père ?
Les événements capitaux de nos vies sont porteurs de joie dans une société fraternelle, ils devraient donc être partagés, mais le secret coupe les ponts aux agents pathogènes, il est une sécurité supplémentaire que l’on ne peut pas refuser à ses enfants. Myriam a renoncé avec bon sens à afficher son premier père; en quelque sorte Madame la commissaire en chef a ordonné à Myriam de renoncer à cette satisfaction; la fonction a pris l’avantage sur la personne.
Peu de nouvelles du front, de la lutte contre les bulles, on vivait une époque prospère
et sereine. Un jour pourtant Madox vit arriver un Michel aux cheveux coupés court.
Où était passé le celte en lui ? Paraître ainsi, aux yeux de tous, comme adhérant
à l’apparence ennemie au lieu de cultiver celle de sa tradition, constitue un défi
aux normes et une révélation d’intentions. Madox le plaisanta, un crâne genou ou
quasi au pays des chevelus sans l’excuse de la maladie rappelle le degré de trahison
d’avant-
Mme la commissaire avertie par ses agents ne fut pas surprise. Elle savait donc avant. Sa réaction fut molle. Elle ordonna à chacun, selon les procédures, de travailler à la connaissance de la vérité, mais sans zèle particulier. On eût dit que son opinion était faite et que l’évolution était prévue sans la réjouir. En somme elle laissait traîner, ce qui se comprend, afin de voir quels seraient les épiphénomènes; du moins c’est ainsi que l’on pouvait interpréter ses choix.
Asma fit pour la première fois la couverture d’une revue féminine. Il faut noter
l’événement parce que depuis les trois bombes on n’avait plus vu ça. Beaucoup estimèrent
que c’était un succès du révisionnisme. La place d’une hybride n’est pas celle de
modèle et de rêve pour les femmes de notre pays. Qu’importe sa beauté ! Depuis quand
la beauté est-
III
Quand Madox fut remis il fallut un certain temps pour s’apercevoir que désormais
il était seul. Puis Asma à son tour, suivie par des paparazzi attentifs à cause de
son début de «carrière people», sembla séparée de son Pygmalion, comme aimait l’écrire
-
Michel s’absentait souvent, reportait ses cours, son comportement intriguait. On
aurait dû être inquiet pour lui et l’aider. Pourquoi cela n’aurait-
Les agents de Madame la commissaire firent leur métier; rien là qui soit à reprendre.
Mais ils perdaient parfois Michel. Et pas seulement lors de ses voyages à l’étranger.
D’ailleurs allait-
On ne le sauverait pas. Myriam pensait avec regret que le gars sympa, un jour, bientôt, deviendrait un réformé. D’abord il fallait trouver qui l’attirait dans un piège, qui cherchait à le transformer en arme contre nous.
Parmi toutes les affaires qu’elle suivait Myriam avait celle-
«Le temps battait son plein», comme on dit chez nous, ce qui signifie que les événements s’accéléraient; mais de façon invisible; en surface rien ne paraissait. Des difficultés de couple qui n’en a pas eu ? L’hybride était une salope professionnelle, ou quasiment, son insouciance avait sûrement quelques cadavres dans le placard, toutefois sa surveillance avait peu de chances de fournir des résultats. La partie visible de la fleur ne nous renseigne en rien sur ses racines, lesquelles lui permettent la vie.
Un fait choqua. Et profondément. Madox tenta de récupérer Diane.
Il faut comprendre à quel point une telle tentative est asociale. Elle est si contraire au simple respect des droits de l’homme que Mme la commissaire en chef ne s’y attendait pas.
Ses agents lui avaient apporté les photos. On voyait Madox suivre Diane dans la rue. On le voyait s’arrêter avec sa voiture, un coupé vert, à sa hauteur, essayer de la persuader de monter. Diane l’écoutait avec stupeur. Une photo la montrait des larmes aux yeux... Il essayait de la faire "émerger".
Un coupé vert pomme, criard. Jamais Mme la commissaire ne l’aurait imaginé avec une voiture pareille. Renseignement vérifié il ne s’agissait pas d’un choix nouveau. Les incongruités automobiles étaient une de ses habitudes. Pas si étonnant qu’un intello en vue cherche à attirer plus l’attention en souhaitant une réputation d’excentrique. Il n’en est que plus facile à surveiller.
Que de gens seuls dans une société d’amour ! La tristesse n’est-
Paix, amour et santé, n’est-
Les associations d’invasion renaissaient sous couvert d’associations contre le racisme
alors qu’elles étaient des associations racistes car anti-
Cette année-
Il y avait quelque chose de pourri décidément. La pourriture risque de gagner du
terrain. Une intervention chirurgicale réalisée à temps sauve le malade. Le Général
était trop vieux, il laissait faire, il était probablement mal entouré, peut-
Certains envisageaient froidement son remplacement. Mais par qui ? Eh bien, par eux, évidemment, mais sans le dire tout de suite; ils jouaient même les modestes : «Je ne sais pas, on cherchera démocratiquement les meilleurs, je ne parle pas pour moi, mais si on juge que je suis capable de servir mon pays, je suis prêt.» Ah oui ! Fin prêt ! Un dévouement de plus fin prêt à se remplir les poches !
Un mouvement né dans le peuple, sans aucun meneur, ou du moins sans qu’un meneur
n’y apparaisse, soudain se gonfla, atteignit une masse critique et explosa de lui-
Les coutumes purent reprendre leur cours sans craindre les pollueurs.
Tout ceci s’était passé dans la capitale, les commissaires régionaux n’étaient responsables
ni coupables de rien. Sans doute avaient-
Les contrecoups du tremblement de terre qui venait d’ébranler l’état se firent sentir
partout. Le bon sens triompha et les coupables furent de nouveau punis comme ils
le devaient. Ainsi Madox, convaincu d’avoir cherché à faire émerger Diane, fit trois
mois de prison. Pas moins. Nous fûmes satisfaits de voir puni sans prendre des gants
cet éminent professeur de fac. La notoriété et l’intelligence cessaient enfin d’être
des boucliers. Ces gens-
Fin de l’impunité !
Egalité, liberté, société.
La liberté de l’ordre protège les nourritures de vie légales et frappe ans hésiter les déviants.
Ce Madox avait moins de prétention, moins l’air fier quand il ressortit de prison.
Profil bas le génie tripoteur de l’histoire. Même notre histoire ne signifia plus
autre chose que ce qu’elle signifiait. Ses élèves furent moins passionnés -
Depuis que Madame la commissaire en chef n’était plus aussi sûre d’avoir été pardonnée
par le Général lui-
Les courants d’air médiatiques traversèrent beaucoup moins les têtes, ils n’y déposaient
plus de scories emportées d’ici ou là. Qu’a-
La force a redonné sa force à la sérénité. Un clochard ex-
En plein réchauffement sociétal, Myriam apprit que l’on venait de découvrir le cadavre de Michel. Elle fut secouée quoiqu’elle réussisse assez bien à le cacher. L’assassinat n’était pas à mettre en doute, son évidence imposait le silence aux plus méfiants. Les assassinats sont rares et plus d’une fois on s’est trouvé devant des mises en scène de déviants pour utiliser des morts naturelles contre l’ordre. Mais là on avait tenté de cacher le cadavre découvert par hasard, un hasard toutefois inévitable, dans un recoin d’une usine désaffectée terrain de jeu d’adolescents.
Un gars si sympa... allez comprendre.
Dans l’ombre était tapi un monstre, un meurtrier. Peut-
Au commissariat ce fut le branle-
L’enterrement fut très suivi, Michel connaissait du monde et puis les caméras étaient en nombre. Asma fut considérée comme sa veuve; son début de carrière permettait à une certaine presse de merveilleux effets sur les drames qui la frappaient. Comme elle était photogénique la mort de Michel l’était aussi. La contamination esthétique gagnait le drame. Avant même de savoir en quoi il consistait des réalisateurs étaient en concurrence pour en tirer un téléfilm.
Rien de critiquable dans la cérémonie. Madox, vieilli, l’air abattu, se tenait à la suite de la veuve très digne dans son malheur. Tout était parfaitement réglé. Une vraie satisfaction pour les professionnels des pompes funèbres qui se montrèrent à la hauteur de l’événement.
Madame la commissaire en chef supervisa le dispositif de sécurité et de surveillance. Elle ne manqua pas de noter que Diane vint mais dans la foule de ceux qui connaissaient vaguement la victime et qu’elle ne paraissait pas affectée. Madox avait échoué en ce qui la concernait; les motivations de sa tentative restaient d’ailleurs incertaines malgré les interrogatoires. Cet homme, selon les psys, n’était pas à considérer comme un cas majeur de révisionnisme. Il n’était pas déstructuré mentalement. Une désintoxication des vaines fumées passéistes avait suffi pour le réinsérer. Il n’avait pas fallu beaucoup frotter pour qu’il paraisse comme un sou neuf.
Son ancienne théorie sur notre société s’était endormie en lui. «La SDBI (société
des bonnes intentions), disait-
La police multipliait les interrogatoires pour reconstituer l’emploi du temps de
Michel avant sa disparition. Seulement il avait cherché lui-
L’enquête aurait dû être fulgurante pour une affaire aussi médiatisée. Or elle piétinait.
Mme la commissaire en chef essayait de le cacher. Un premier coup de téléphone «d’en haut»; puis d’autres; de moins en moins aimables.
La piste des clandestins était logique; on y serait arrivé en suivant les procédures
ordinaires mais on était un peu pressé par l’exigence de réussite. On passa donc
par-
Le lien n’était pas établi avec la victime mais il le fut par la presse qui évoquait complaisamment ses voyages et la police fut bien aise pour une fois de la prétention médiatique... d’un autre côté, il n’était plus acceptable pour les citoyens que l’on ne trouve pas ce qu’ils savaient déjà.
Le jeu de l’étranger armant ses soldats de l’ombre n’avait pas besoin d’être diabolisé, l’ennemi cherchait depuis longtemps par tous les moyens à nous déstabiliser, à nous tuer. On constatait aussi sa capacité à évacuer ceux qui l’auraient compromis. Car on captura du fretin. Les rats bien planqués n’avaient pas systématiquement échappé. Les fils qui auraient dû relier les éléments de l’enquête manquaient. On s’en passa. L’exigence de résultat prima sur la couture. Mme la commissaire tenait à ne pas être virée; on la comprend. On constate simplement qu’en cette occasion elle fut plus efficace que perspicace.
"Il faut tenir le coup", se répétait-
Qui se serait douté à la voit diriger les vagues d'assaut des souterrains ? Rétrospectivement
et bien informé par des sources diverses dont elle-
Après la découverte de l'arsenal caché (il passionna la presse pendant trois semaines), les fouilles ciblées de voitures, d'appartements, de garages, de caves, de lieux retirés, et pas seulement dans notre région, furent multipliées. L'opération avait l'adhésion populaire car il s'agissait de la sécurité de tous; si quelqu'un protestait, il était suspect.
On avait eu chaud; personne n'amasse des armes pour ne pas s'en servir; et on ne
connaît pas de bombes de collection. Combien étaient-
Avant le nettoyage autour du Général la presse s'était remise, comme avant-
Une initiative de Diane à cette époque laissa Myriam pantoise. La réformée acquit à la lecture des événements une conscience politique. Rien de plus éloigné de sa personnalité antérieure. Elle estimait qu'une femme consacrant sa vie aux finances de l'art ne peut rester indifférente et inactive face aux drames de sa société. Elle fonda une association : "Femmes de lumière", dont le but résidait dans la surveillance des déviants et des étrangers susceptibles de nuire aux libertés fondamentales et autres des femmes. L'intention était bonne, donc louable.
Je la revois dans la rue une pétition à la main -
Avant-
En limitant les libertés des djournalistes on augmente les libertés des citoyens et on rétablit la véritable liberté de la presse qui ne consiste pas à démolir.
Des dérives avaient de nouveau eu lieu avant ce que l'on se mit à appeler "le coup
d'éclat récent du Général", une sorte de rappel à l'ordre plutôt qu'une reprise en
main, et sur le territoire surveillé par Madame notre commissaire des abus restés
impunis marquaient encore les esprits. La presse SS avait resurgi, elle avait été
tapie dans les souterrains attendant l'occasion. Il fallait envisager un rapport
armes infiltrées-
L'enquête obligea à la fouille de quelques bureaux et appartements. Les djournalistes unanimes s'indignèrent de cet odieux attentat à leurs libertés par les forces "réactionnaires" : l'emploi de ce mot aurait suffi à prouver leur degré de perversion idéologique mais les preuves écrites abondèrent, leur confiance en leur puissance les perdait, ils se croyaient tous les droits parce qu'ils savaient crypter un fichier. Prétentieux, venimeux, mielleux : le répugnant trio des "qualités" journalistiques. L'action n'entraîna que des sanctions modérées. Aucun réformé, aucun emprisonné. Les photos des plus coupables furent publiées en une avec les motifs de leur condamnation; des psys spécialisés dans la presse (on en trouve de spécialisés pour tout, le vox populi les a baptisés les "charognards gourmets") s'occupèrent de ces malheureux perturbés; la presse cessa de vouloir diriger le peuple en prétendant le servir.
IV
En fait, avant le drame, les avertissements n'avaient pas manqué, les signes précurseurs non plus. Mais quand on ne veut pas voir... Et qui veut voir le malheur marcher sur lui ? On avait préféré regarder ailleurs, ce qui signifie que l'on savait où ne pas regarder. Chacun espérait ne pas être mêlé à un drame, ne pas subir d'épreuves. C'est humain. Chacun espérait que quelqu'un agirait et réglerait les problèmes. C'était sot. Comme tout le monde refusait de savoir et attendait, des fuites d'eau remontaient des caves et commençaient de recouvrir la surface.
Les plus suspects, genre Madox, ne bougeaient pas; très surveillés, ils monopolisaient même la vigilance. Ailleurs les rats couraient d'un lieu à un autre, les passants avaient toujours une bonne raison de regarder dans une autre direction.
Et puis la longue période de stabilité avait créé une fausse certitude de sécurité. Nous avions des sentinelles officielles, elles somnolaient. Ceux qui avaient la charge de signaler l'ennemi et d'appeler aux armes s'ennuyaient depuis trop longtemps à leur places.
La mort est dans le confort, on y perd ses défenses. Les dératisations annuelles tenaient plus du jeu que de la guerre, or la guerre se dressait chez nous devant nous et on voulait ne pas la voir.
Madame le commissaire en chef avait reçu une lettre anonyme au sujet de Michel. Pas
claire. Diffamatoire à l'évidence -
Le choix d'une rencontre hors domicile, à un bar sur le port sera jugé curieux pour une enquête mais après tout il s'agissait de ne pas inquiéter la victime de la diffamation. Elle tenait à éviter l'hybride qui ces derniers temps avait essayé à plusieurs reprises d'avoir avec elle des rencontres "fortuites"; elle avait réfléchi aux buts mais refoulé les causes.
Plus tard nous avons réalisé que ce n'était pas la première fois que nous voyions
Myriam et Michel ensemble à un bar, et même à un restaurant, mais moins. Bref on
aurait pu le classer dans ses relations. A quel titre, ça... Il est vrai aussi que
son travail l'amène à fréquenter pus les suspects, et parmi eux des coupables, que
les autres. Une commissaire n'est pas suspecte d'être avec des suspects. Il faut
une certaine confiance en l'autorité, sinon elle n'a plus d'autorité -
Les règles ont été observées, la crise n'est pas née d'un dysfonctionnement. On a pu en déduire ensuite que les dysfonctionnements sont nécessaires pour que les sentinelles officielles ne s'endorment pas. Et dire que l'on croyait qu'il fallait absolument que tout fonctionne parfaitement ! On se braquait sur l'observance des règles, on avait tout faux.
Celui qui a peur de la guerre a déjà perdu la guerre. Un entraînement à son horreur peut seul révolter suffisamment pour éviter de devenir faibles. Ainsi on avait cru qu'il fallait toujours faire éclater les bulles avant qu'elles ne nuisent, or il est politiquement nécessaire que des dysfonctionnements retardent parfois l'action qui aurait sauvé de l'une d'entre elles.
Toutefois si Madame la commissaire commit des imprudences en ce qui concerne Michel, voire une erreur, ce ne fut pas volontaire, les ordres n'étaient pas encore, si j'ose dire, "aussi avancés", la sécurité totale passait par la réussite. Ultérieurement certes les commissaires des régions reçurent des ordres qui donnèrent un air moins figé à notre société, furent contraints à une certaine inefficacité qui obligea les sentinelles officielles à rester éveillées.
Est-
Peut-
Remarquez que les bribes de conversation entendues et rapportées (sinon à quoi bon avoir écouté) permettent difficilement de se forger une opinion si l'on n'est pas expert en la matière. Or qui est expert en pensée ?
D'ordinaire elle est, dans sa version hors limite, tolérée en quelques lieux, essentiellement
des universités; assiégée ou protégée on n'en finirait plus d'épiloguer. En tout
cas elle a ses professionnels, lesquels sont très jaloux d'intrusions de non-
Que l'un des leurs ait essayé d'y attirer une commissaire en chef dont la fonction est de lui éviter les agressions en l'empêchant de sortir de ses lieux de résidence paraît paradoxal. Il faudrait supposer des intentions de déstabilisation, monstrueuses par nature car une société déstabilisée, en crise, devient une cible tout en étant secouée de tremblements de terre meurtriers. La pensée tue. Lénine, Hitler, Mao, Bush, on s'en serait passé avec profit sans perte.
Les pensées sont d'abord comme des petits chiens, amusants et si câlins; puis ils
grandissent, il faut les nourrir, trouver à les nourrir, ça mange énormément ces
gros animaux, ils risquent de cous coûter une fortune. Et puis ils mordent. Ils attaquent
parfois sans que l'on comprenne pourquoi. Mais le danger maximal ne se profile qu'à
l'apparition des fées naines. Elles sont nos rêves. Les fées naines montent les chiens
hurlant; folles de joie elles ont enfin le pouvoir d'attaquer tout ce qui s'oppose
à elles; les chiens déchiquettent pour elles leurs ennemis. La folie des rêves s'est
emparée des armes de la logique. Les cavalières n'ont pas de remords, les montures
obéissent désormais aux cavalières. Il n'y a pas de limites à leurs folies, elles
jouent avec les vies, avec les mondes, tout est moyen pour elles, or elles sont la
cause et elles sont le but, leur propre but. Tout rêve meurt de s'atteindre. Les
chiens aussi sont mortels. Et l'effroyable puanteur de ces charniers écarte les survivants,
leur tient lieu de sagesse -
Si Myriam s'est mise à penser (en ce sens-
Donc sur le port (plus exactement la terrasse d'un bar; après, un bout de trottoir,
puis la voie à sens unique, puis les pistes cyclables, puis le trottoir, puis le
parking, puis le port). Elle voyait le haut des bateaux, elle voyait surtout les
voitures passer. Elle était arrivée la première. Pas d'impatience à noter. Michel
arrive dix minutes plus tard. Ils s'embrassent sur les joues. Leurs boissons sont
sans importance (quoique... Un mitsaku pour Madame et un irish café pour Monsieur)
Tout cela est connu par une très vieille dame qui occupait utilement ses loisirs
constants. Evidemment sa vue et son ouïe n'étaient pas celles de ses seize ans. De
sa place la figure de Michel danse d'une épaule à l'autre de Myriam dont le dos reste
immobile; parfois la figure disparaît dans la tête de Myriam. Ils ne parlent pas
fort -
Le gars sympa n'avait pas l'air préoccupé en partant. Elle non plus. Elle avait remis
la chose, la lettre sans doute, dans sa poche et ni vu ni connu croyaient-
Peut-
Ce Michel, en acceptant Asma, avait accepté le passé d'Asma, sans le connaître sûrement,
mais on voit l'ombre si on ne sait pas ce qui s'y trouve, on sait l'essentiel en
ignorant les détails. Un homme qui se met en ménage avec une hybride doit assumer
l'ascendance de celle-
Et elle ? Elle y a cru ? Elle a cru que son héros prenait son passé à elle sur ses épaules à lui et qu'elle en était libérée ? Oh, plus de passé. Magique. Elle était plus physique si vous voyez ce que je veux dire, qu'intello. L'expérience prouve que même les gens les plus intelligents peuvent croire n'importe quoi, alors les autres... Et elle faisait partie des autres, sûr.
On ne va pas épiloguer sur les responsabilités comme au tribunal. Un coupable potentiel
est déjà un coupable. Dans les meurtres qui concernent la justice, chaque année tant
d'êtres humains sont "condamnés" à être victimes et tant parce qu'ils ont été les
coupables. On connaît d'avance approximativement le nombre de victimes de l'année,
et par conséquent le nombre de coupables. Les victimes sont condamnées à mort (sans
fautes), les coupables non (avec crimes). La justice a bonne conscience. Elle a fait
ce qu'elle pouvait, c'est-
La survie d'une société n'est pas une affaire de justice. Uns société, son existence, n'est en soi ni juste ni injuste. Rien à voir avec les lois. Elle est "avant" les lois, elle n'en dépend pas. La société dépend des citoyens. Pas des élus, des magouilleurs, des profonds penseurs etc... Rien à faire d'eux. De tous les citoyens. De tout citoyen. Tout citoyen qui se sait responsable de l'avenir (ou de la mort) de sa société est, en ce qui concerne son action en ce sens, "avant" la loi. Hors la loi. Nécessairement.
Qu'importe les coups de vent éventuels ? Nous sommes quelques-
Patience. Son prédécesseur avait mis du temps lui aussi. Il avait même eu sa période de "pensée". Nous, nous construisons, reconstruisons, refaçonnons les limites. Et nous gardons les portes. Qui sort n'est pas sûr d'être autorisé à rentrer. Hors loi.
Asma devait être pleinement heureuse à cette époque. Tous ses souhaits se réalisaient.
Compagnon, succès, moyens financiers, popularité; le désir était devenu la vie. Tout
ce que nos petites filles avaient rêvé aussi, et elles trouvaient chez elles la place
prise; par trucage d'ailleurs; l'hybride bénéficiait de passe-
Les rues sont paisibles dans une région sûre de ses citoyens. Il faut que l'esprit
civique baisse beaucoup pour que l'insécurité augmente. Avant-
Après la mort de Michel et la découverte de la cache d'armes (on dit "la" à cause de la plus importante, celle qui a frappé les imaginations, mais on en découvrit d'autres), certains "esprits éclairés" tentèrent d'utiliser la vieille recette de la provocation policière, des preuves créées par ceux qui les trouvaient. C'était faux et ils ne l'ignoraient pas. Mais le faux laisse ses traces dans les têtes et avec le temps qui se souvient que le faux était faux ? Pourat et Louzette autrefois avaient fréquemment utilisé ce système. On ne se fâcha pas. On exigea qu'un film TV consacré à ces deux criminels passe sur toutes les chaînes à 20 h 30 dans un but d'éducation civique, essentiellement des enfants mais en famille, ce qui vaut mieux que l'école. Certains poussèrent les hauts cris ! Ils durent s'excuser publiquement de leur manque de civisme. Une société est faible quand les contestataires de son emprise se permettent des insolences quotidiennes au nom des libertés ! Les leurs contre les nôtres, les leurs contre celles des citoyens qui n'appartiennent pas au monde shooté des médias. Si le délire verbal charme facilement les gens qui travaillent, il démolit en feignant d'amuser. L'ordre met les fous au pas des travailleurs.
On peut affirmer que, après l'épreuve, la table était mise, sur une nappe propre, dans une salle à manger bien tenue, et que de la cuisine provenaient des odeurs agréables de viandes rôties, de légumes variés et de gâteaux appétissants. Le nombre de couverts correspondait au nombre de convives, pas plus pas moins.
Myriam s'arrondissait et son appétit augmentait. Elle renonça à "penser". Elle comprit que la "pensée" n'était pas la bonne voie. Surtout pour elle, une commissaire. La pensée retourna dans ses locaux; on eut la paix avec cette chienne en chaleur. Les temps ne s'arrêtèrent pas, la fin du monde n'eut pas lieu, les pythonisses changèrent de prédictions.
Madox, par opposition sans doute au réalisme dominant, remit quelques piquants, quelques
stimulus dans ses cours. Prendre, dans une certaine mesure -
Troisième partie :
LA PEUR DE SOUFFRIR
I
L'enquête officielle seule était close, Madame la commissaire en chef cherchait toujours les faits derrière les faits. Or toute vérité n'est pas sociale; elle peut ne concerner que Sirius, son point de vue nous laisse glacés. Balayons bien chez nous, que tout soit propre, net; mettons les saletés à la décharge du dehors.
Les Etasuniens appellent liberté ne pas oser sortir seul dans les rues la nuit, ne
pas oser entrer dans nombre de quartiers, subir des agressions physiques, visuelles,
sonores fréquemment, être insulté, être mis à la porte de son travail, être très
riche pour un tout petit nombre, s'abrutir de télé des heures et des heures, s'abrutir
de sport des heures et des heures, s'abrutir de bruit-
L'idée fixe policière était la reconstitution de la dernière journée de Michel, de
combler les vides manquants. La chance est censée servir la justice. On ne voit pas
pourquoi elle serait anti-
Les faits ne sont pas les faits, ils ont des significations. La police et la justice
doivent tuer les significations. Il ne reste qu'un squelette parfaitement nettoyé
dont même les enfants n'ont pas à avoir peur. Dans la nature il y a des charognards,
des corbeaux, des vautours... dont on honnit sottement l'utilité. Nos peurs de la
mort et de la souffrance nous troublent le jugement. Certains sont bouleversés devant
le spectacle du nettoyage naturel comme si la souffrance existait encore dans le
corps après la mort. Ils ressentent eux-
Un jour, elle rentrait chez elle un sac chargé des courses qu'elle venait de faire
au supermarché à chaque main lorsque Madox du trottoir en face (Attendait-
"Pensez-
Elle lui lança un drôle de regard, en biais.
"Vous vous sentez concerné ?
-
-
Et pourquoi n'aurait-
Il murmura :
"Michel a beaucoup compté pour moi. Plus que vous ne croyez."
Un silence tomba sur eux, chacun réfléchissait, lui à son "amitié", elle aux perspectives ouvertes en imaginant l'ami coupable; jusqu'ici il avait été écarté à cause de la surveillance étroite dont il était l'objet et parce que son lien avec des armes paraissait invraisemblable.
Elle reprit :
"Tous les motifs seraient étudiés par un tribunal. Avoir sauvé l'état n'excuse pas le meurtre; il suffisait d'une dénonciation..."
Assurément elle ne croyait pas qu'il allait lui répondre qu'elle en avait reçu une, qu'il le savait. Mais un trait du visage, un regard particulier aurait pu... non.
"Je pense souvent, dit-
-
-
Il s'était arrêté et elle s'arrêta aussi, ils se fixaient.
Deux fous aveugles essaient de faire parler un mort. Chaque question est un coup de couteau absurde. Un aveugle "regarde" l'autre aveugle, il s'étonne que l'autre ne le voie pas. Le mort, au lieu de séparer, commence d'unir; les coups de couteau deviennent des fils, des liens qui attachent les deux aveugles. Voilà. Ils ne se sépareront plus.
"Il a été jeté là, répondit-
-
-
En fait elle l'ignorait. Mais l'imagination de Myriam l'avait emporté sur son savoir, elle avait vécu et revécu les faits et certains étaient devenus vrais. Trop vrais pour être honnêtes.
Ils s'étaient remis en marche. Alors elle eut ces paroles imprudentes :
"Le crime social dépend de la justice sociale, le crime privé appelle une punition privée."
Cette distinction, et de sa part, rétablissant la vengeance comme auxiliaire de police,
comme si le privé n'appartenait pas au social, me fut rapporté par elle-
Madox blêmit.
"Je n'irais pas si loin", murmura-
Aucun aveu de culpabilité ici, mais on peut toujours sentir se renforcer un doute quand un "ami" émet des réserves sur le fait de châtier le meurtrier d'un ami.
En tout cas il n'avait pas agi en personne. Il fallait supposer des complices ou plutôt une manipulation particulièrement habile de sa part pour que les alliés de Michel le croient un ennemi infiltré... Madame la commissaire en chef échafaudait malgré elle et surtout essayait de comprendre pourquoi il l'avait abordée et était venu se rendre suspect.
On arrivait à la porte du parc de son immeuble, il l'accompagna jusqu'à la porte du hall. Là, lui rendit son sac, avec un coup d'oeil discret vers son ventre, il dit :
"Vous l'appellerez comment ?"
Elle eut un regard fier :
"Michel."
Et comme il restait étonné, ne comprenait pas, elle ajouta avec un petit sourire :
"Michel... fils de Michel."
On ne saurait blâmer son premier choix. Physiquement, intellectuellement la père était valable. On n'améliore pas sa famille avec des quelconques. Notre médecine est capable d'établir et corriger selon les voeux de la mère la génétique du foetus; évidemment si les deux donneurs sont médiocres le travail est ingrat, inefficace; Myriam avait voulu que le fils ressemble au père le plus possible, seule la forme des yeux rappellerait la mère, mais ils seraient bleus. Pour les capacités son côté pratique prendrait de l'importance par rapport aux puissances de conception spéculative; limiterait donc... comme on le lui souligna, mais pour elle son fils aîné devait naître en armure. On ne l'abattrait pas comme son père.
Le choix des pères reste secret donc elle échappait à toute polémique. Ceci prouve la compétence du législateur. En effet, dans le cas contraire, la populace aurait forcément exigé un avortement, les discours scientifiques n'auraient jamais pu la convaincre de l'inanité de son exigence. Le secret permettait à la science, à la morale et à la liberté individuelle de se promener ensemble sans gêner. En harmonie sans mensonge. Le bonheur des enfants a besoin de l'ignorance, de la leur et de celle des autres.
En attendant Michel Myriam pensait déjà à ses frères. La liste de pères potentiels s'était allongée considérablement, elle demandait son avis au foetus, discutait avec lui de son prochain choix, il s'agissait d'une décision "en famille", elle n'était plus seule, elle ne pouvait plus tenir compte de sa seule préférence. Un choix a un poids pour les choix suivants. On ne peut pas l'ignorer. Il est lourd de conséquences. Un pas dans une direction est sans marche arrière, il exclut aussitôt quantité de directions.
On aimerait tout de même connaître les raisons, en admettant que ce terme convienne, de la préférence pour Michel, ou plutôt de sa désignation. Car préférer un gars sympa, soit, mais de là à le désigner. Surtout quand il s'agit d'un terroriste. Et on revient à la question : que savait alors précisément Madame la commissaire en chef ? Prévenue en outre par une lettre anonyme. Sa fonction lui avait obligatoirement fourni sans qu'elle le veuille nombre de renseignements. Et elle n'était pas femme à renoncer à la connaissance de ceux qui auraient dû lui rester secrets alors qu'il s'agissait du choix d'un père. Si on creuse un peu la question, les qualités de Madame la commissaire la rendent en fin de compte carrément suspecte.
Il y a bien l'excuse de l'amour. On n'avait pas pu la piéger avec l'hybride, on avait utilisé son compagnon. Maquée par un terroriste la commissaire aurait filé droit. Droit dans le mur. L'hypothèse tient la route (jusqu'au mur) mais pourquoi avoir un enfant dans ces conditions . On pensait mieux la tenir par l'enfant ?
Myriam se sentait très heureuse, elle parlait à l'enfant de son père, elle lui racontait leurs rencontres, ils étaient trois. Elle omettait la fin, le fils l'apprendrait vers quinze seize ans, pas avant.
D'abord sur sa liste elle rétrograda sérieusement Madox. Il avait reculé dans son
estime. Puis il regagna des places. Même vieilli, il restait exceptionnel. Elle appréciait
les hommes exceptionnels. Ceux auxquels dans une autre société elle n'aurait pas
eu "droit". Toutefois l'idée de sa culpabilité possible la contrariait; n'y avait-
L'habitude lui vint de sortir avec Charlie Charlot. Il n'y avait rien entre eux que
la familiarité. Sortir seule lui déplaisait. Le réformé, avec son humeur égale -
Les jours copiaient les jours. Quand on en a eu un bon, on a intérêt à le répéter,
sinon Dieu sait quelle vacherie, quelle saloperie sera le lendemain. Déjà le hasard
vous attend aux tournants et des tournants l'esprit malin, Satan et co., en a flanqué
partout, des ronds-
Des religieux estimaient que la liberté religieuse nécessitait la liberté fiscale,
leurs arguments reposaient sur leurs aides sociales plus larges, plus dégagées de
justifications des demandes par les défavorisés, plus généreuses que celles de l'état.
On leur répliquait qu'ils ne faisaient que redistribuer aux pauvres l'argent donné
surtout par les pauvres comme l'état lui-
Ainsi Madame la commissaire en chef, si douce de nature, si gentille, acquérait involontairement une réputation d'intransigeance, de despotisme fiscal, d'acharnement inquisitorial, de coeur sec archisec, de militante masquée de l'égalitarisme, de rigidité contractuelle, d'intolérance aux défauts humains trop humains, de fanatisme policier, de double personnalité, de cynisme religieux, de tendances sadiques, de volonté de domination, de manque de compréhension, de manque de flexibilité... Un chêne, pas un jonc, aïe; il était urgent qu'elle opère une action médiatique pour se concilier les sympathies.
Elle demanda conseil au charmant Charlie Charlot. Celui-
"Ne pas nuire.
Assister toute personne en danger.
Obéir aux lois, aux règlements, aux coutumes."
La presse people passait au microscope la vie d'Asma et jurait sa non-
Elle commit l'imprudence de se défendre. Elle déclenchait ainsi l'hallali. Maintenant il n'y avait plus personne pour la conseiller. Quand la presse sent que la victime est sans protections, l'acharnement est sans borne, et quand elle sent le sang, faut qu'elle tue. Le système la laisse se repaître annuellement de quelques victimes; après, calmée elle se limite à ses trois "qualités" habituelles déjà citées : Mielleuse, prétentieuse, venimeuse; l'ordre varie.
Le groupe musical d'Asma avait d'abord semblé marcher au succès. La nouveauté de
sa formation avait attiré plus que sa musique; un deuxième album ne se vendit pas.
Surtout le vent avait tourné, les "esprits éclairés" paniquaient, ils se souillaient
de frousse à l'idée d'être pris la main dans le sac de la lumière; éclairer notre
société avec de la lumière hybride n'était pas acceptable; la nôtre nous suffit et
si elle éclaire moins bien, soi-
Elle résistait vaillamment. Non, pas de culpabilité quelle qu'elle soit de sa part.
Que lui reprochait-
"Plus dure sera la chute. Plus dure sera la chute. Notre Asma a manqué une marche.
La pute chute troussée jusqu'au cou. Ça la change, jusqu'ici elle détroussait. Franchement
son disque c'était du vol." Son disque, créé avec tant de peine -
Il faut noter ici le sens des responsabilités et, soyons net, le courage de notre
commissaire en chef. En pleine tourmente, sous les cris de mise à mort, elle n'hésita
pas à s'afficher publiquement au côté de l'hybride lors d'une sortie de celle-
Le bilan était mitigé. Beaucoup estimaient le lynchage médiatique nécessaire; toute
société a besoin de boucs émissaires; après, les tensions apaisées, la société se
continue. Il n'y a pas d'innocents, dit-
Se voir sur ses propres photos en une voler, enfin non, prendre sa première place
par une commissaire de police, doit être dur pour un mannequin. Mais on ne l'engageait
plus. Pour survivre médiatiquement elle n'avait en principe que l'engrenage des scandales.
Vrais ou fictifs, peu importe. Elle aurait pu jouir d'une paisible vie de rentière
de scandales, ne jamais bouger de chez elle et balancer par téléphone à des journalistes
des confidences piquées dans des livres à l'eau de rose, dans des livres érotiques,
dans des livres d'aventures, des classiques même... Les médias gobent tout, répercutent
tout. Plus c'est énorme mieux ils avalent. Ils sont le scandale écoeurant lui-
La tentative de meurtre médiatique avorta; le futur de l'hybride était incertain;
si jeune et has been. A part vendeuse quel métier pouvait-
Myriam devait lui parler pendant leur sortie de protection officielle. Mais que lui
dire étant donné le nombre de sujets à éviter ? Elle découvrit dès la première tentative
que l'hybride était sans conversation; elle répondait seulement; sa joie de vivre
était cassée. La beauté était-
II
Avant-
Myriam sert. Un(e) haut responsable est un(e) domestique de la maison état. Sa tâche,
acceptée, consiste à l'entretien, la sécurité, le bien-
Le plus difficile est de faire accepter aux gens ce qu'ils savent pourtant : la nécessité d'être contraints. Sans cesse ils essaient d'échapper, de contourner, de jouer les anguilles. Ils sont réprimandés, sans plus. Mais certains désirent se faire punir, évidemment. Le vice ne défie pas la loi, il jouit de la loi, elle lui est vitale. L'excès a besoin de la continence. Gérer oblige la loi à faire jouir le vice; avec dégoût; avec répulsion; mais c'est une de ses fonctions; inavouées; inavouables. La part inavouable de la loi réduit le mal à un rapport consenti payable en soumission. Ainsi règne la paix violente.
Naturellement les domestiques de l'état ne doivent pas être détestés, ils n'attireraient plus le mal, ils ne seraient plus désirés par le vice, ils ne pourraient plus jouer leurs rôles, des bulles de révolte se formeraient en nombre de plus en plus grand et le système deviendrait instable. Bientôt incontrôlable. La sympathie est par conséquent non seulement utile mais fondamentale. Elle doit être nourrie, abreuvée. Pour obtenir la sympathie des citoyens (tous vices confondus), il faut leur apparaître en position de faiblesse. Il faut provoquer l'empathie. Ils subiront alors sans révolte la punition quand ils devront être punis et ceux qui y prennent plaisir seront si l'on ose dire "aux anges". On comprend l'importance pour Madame la commissaire en chef de son apparition à la fête de charité.
Elle avait déjà marqué des points par sa présence aux côtés de l'hybride dans des
circonstances difficiles. Mais on pouvait objecter qu'elle accomplissait son devoir,
le devoir est une barrière à la sympathie. Là elle allait se montrer dépouillée de
l'autorité de sa fonction, pourtant il s'agirait bien de Madame la commissaire, pas
de Myriam, il s'agirait bien de la fonction dépouillée de l'autorité qui se présentait
sur scène à une fête de charité. Sinon il n'y aurait pas eu mini-
Quand on la connaît un peu, et vous commencez de la connaître, on se rend compte que "l'opération fête" était difficile pour elle. Ses nerfs se crispaient jusqu'à la souffrance quand elle pensait à cette séance d'humiliation publique indispensable volontaire. Ce petit être froid et calculateur, au passé incompatible avec sa nature, était saisi de répulsion devant ce nouveau devoir.
"Tiens le coup, se dit Myriam. Sois forte." Combien de fois dans sa vie a-
Myriam entre en scène. On l'applaudit. Sa fonction opère seule. Myriam est restée dans les coulisses. Sa fonction se sert de ses gestes, de ses sourires, elle est "parfaite".
Une enthousiaste dans la foule était Diane. Elle ne savait pourquoi mais, contrairement à beaucoup de ses amies et relations qui jugeaient la commissaire compétente mais froide, elle l'appréciait, elle l'aimait bien. Sans la connaître. Dès qu'elle avait appris sa participation elle avait acheté un billet. De toute façon il est normal que son association "Femmes de lumière" soutienne celles qui sont dans la lumière; ensuite, comment ne pas ressentir de la sympathie pour celles qui donnent de leur temps aux enfants malades ?
Là-
Quel mal elle avait eu pour apprendre et ne plus se tromper en jouant ce court morceau ! Elle avait mis à contribution sa relation nouvelle avec l'hybride qui, vide de buts, avait trouvé une occupation, socialement utile en outre, dans les laborieuses répétitions de sa protectrice. Laquelle était enceinte mais Asma ne savait pas de qui; elle avait posé la question (elle n'aurait pas dû, c'est inconvenant, interdit) mais avait été gentiment éconduite. Une relation sinon chaleureuse du moins de camarades s'était créée; on put se parler. De ces riens si agréables à dire et qu'on ne dit pas à de simples connaissances. Asma fut surprise de l'intérêt de Myriam pour des détails de sa vie conjugale avec Michel; ils étaient sans valeur pour une enquête; rares sont les policiers capables d'une telle empathie envers les victimes. Malgré les difficultés importantes, les répétitions se déroulaient dans une atmosphère de complicité; ces deux femmes se comprenaient et chacune était surprise et enchantée d'être comprise par l'autre.
Le plus dur fut la chanson -
Diane palpitait en l'écoutant : c'était mieux que beau, aucun grand chanteur de métier n'aurait réussi à créer un effet pareil, la salle entière participait à l'effort du chant et souhaitait, désirait de toutes ses forces que la chanteuse atteigne le bout sans accroc, la poussait, la portait.
La collection de gris-
L'hybride se tenait dans les coulisses; de la sorte il n'échappait à personne qu'elle
était là mais on évitait les réactions. Elle suivait avec attention et une certaine
inquiétude la performance de son élève. Un échec aurait rejailli sur elle et elle
n'avait certes pas besoin d'une énième tuile. La chanteuse tenait en haleine jusqu'aux
petits malades qui, un temps, oublièrent leurs maladies. Du grand non-
Les applaudissements justifiés retentirent assez longuement pour permettre en haut-
Les journaux du lendemain louèrent beaucoup son "courage exhibitionniste", expression ambiguë (mais qu'attendre de mieux de ces gens) suffisamment perdue dans le récit de la soirée et les commentaires élogieux pour être pardonnée. Globalement les articles étaient très positifs.
A la fin du spectacle des spectatrices tinrent à venir féliciter Madame la commissaire. Diane pour son association en fit naturellement partie. Du reste son enthousiasme, son admiration étaient réelles et, anecdote amusante, après quelques mots chaleureux à l'héroïne, elle sortit de son sac un stylo, lui présenta le programme et... lui demanda un autographe.
Rentrée chez elle Myriam s'effondra, secouée de brèves crises nerveuses avec une intense sensation de fatigue, une atroce impression de vide, de solitude. Elle ne resurgit des limites qu'après plusieurs heures. Il devait être trois heures du matin, à peine plus. Un silence... qu'elle évitait habituellement d'entendre et auquel elle ne pouvait échapper. Elle regarda par la fenêtre la nuit.
Finalement elle appela Charlie Charlot. Il lui dit : "Enfin." Il avait essayé de lui téléphoner plus d'une heure, il avait fini par penser qu'elle n'était pas chez elle. Il était à la fête avec une amie, ils avaient beaucoup apprécié, elle avait été épatante. Son amie était sûrement encore avec lui. Myriam aurait aimé lui demander de venir. Ils se souhaitèrent bonne fin de nuit; elle raccrocha. Ainsi la crise avait été si forte qu'elle n'avait pas entendu la sonnerie du téléphone.
Elle s'assit dans un fauteuil, elle ne pouvait pas dormir. Les yeux ouverts sur une fenêtre sombre elle attendait le matin.
"Respecte en toi la fonction sociale que tu exerces." Ce précepte qui régit le droit professionnel exclut les comportements déviants. La nourriture de vie, l'intérêt, ne doit pas faire dévier. Le droit indique le droit chemin, il est jalonné de "Sens interdit". Le problème naît du sérieux des employés du droit; ils approfondissent leur réflexion sur ce que l'on permet ou non; ils aboutissent toujours à de nouvelles interdictions. Alors il y a une invasion de "Sens interdit". Ils sont si nombreux que les délinquants sont de plus en plus nombreux. La logique des employés du droit, devenu si complexe qu'eux seuls s'y retrouvent, aboutit à la perfection; mais la perfection implique l'impossibilité de remuer le petit doigt pour le citoyen. Ainsi le droit devient l'ennemi du citoyen. Le droit est déclaré l'ennemi du droit.
Quand Madame la commissaire en chef reçut sur son bureau les ordres du Général imposant la simplification, donc l'épuration, du droit, elle sut immédiatement qu'une nouvelle période difficile s'ouvrait et que sa popularité nouvelle ne serait pas de trop pour éviter les refus, les réactions violentes, voire les révoltes. Supprimer les "Sens interdit" pourrait s'appeler libération, mais les gens satisfaits de cet état du système ne l'entendent pas ainsi. Pour eux cette "libération" est une "révolution". On les comprend. Mais quand l'air ne circule plus on étouffe et ceux qui supportent encore bien ces conditions, ou qui s'attachent à cet étouffement par instinct de mort nié, ne peuvent exiger l'agonie des autres, d'ailleurs beaucoup plus nombreux.
La police n'a pas l'habitude de casser les panneaux de signalisation défendus par
des irréductibles, son rôle habituel est même l'inverse, Madame la commissaire en
chef eut un gros travail d'explication à ses troupes. Les interdictions tombèrent,
disparurent en si grand nombre, notre sotteciété devint si permissive que seul le
grand âge du Général pouvait expliquer une décision si irrationnelle en apparence.
N'exagérons pas, avec de la mauvaise volonté on arrive toujours à être délinquant;
mais au lieu de descendre la pente il fallait alors la remonter. A l'intérieur de
la société nouvelle, l'ancienne continua de subsister. Minoritairement. La jeunesse
surtout avait favorablement accueilli la révolution culturelle du vieux Général.
Mais certains, dont des jeunes, pas beaucoup mais non négligeables, continuèrent
d'observer les "Sens interdit" là où ils n'étaient plus. On ne put pas les sanctionner.
Leur refus d'obtempérer à la libération ne les rendait pas condamnables (si ce n'est
moralement, et encore). C'était tout de même drôle, du moins curieux, de les voir
agir, circuler en suivant des règles qui n'étaient plus les règles, le droit qui
n'était plus le droit. La propagande officielle et surtout non-
Après un temps d'adaptation les plus heureux de la réforme furent en fin de compte les policiers. Ils échappaient à des contrôles incessants, fastidieux et inutiles. On cessait de leur demander de perdre leur temps et ils se concentrèrent sur les délits qui le justifiaient.
Madame la commissaire en chef dut, avec douceur, embastiller quelques docteurs en droit; avec douceur, leur expliquer le droit; avec douceur, les menacer d'interdiction d'exercer leur profession au nom des libertés retrouvées; elle les relâcha dès qu'ils cessèrent d'être une menace pour la collectivité.
Comme on l'aimait bien la révolution fut bon enfant; dans d'autres régions il y eut des crises sérieuses, de la violence, le pouvoir central dut changer les commissaires.
Du point de vue du bilan global, à notre compte, la jeunesse fut habilement maintenue
sans contestation dans notre système car elle eut le sentiment d'avoir vécu un grand
événement. De fait la révolution balayait entre les fortifications et ne touchait
pas aux fortifications. Notre société est un aller simple pour l'éternité, elle sait
distraire les voyageurs du temps, aucun ne s'ennuie. C'est pourquoi les vices y ont
leur place et sont tacitement autorisés à jouir de nos lois; ils sont hautement distrayants;
ils sont une drogue en eux-
Les docteurs de la loi s'étaient soumis aux temps nouveaux; donc, retrouvant l'action
-
Madame la commissaire croyait vraiment à la roue du temps mais elle croyait, il faut
le souligner, à des tas de trucs-
Elle se représentait l'humanité comme la trotteuse d'une horloge, formée d'innombrables
humains qui trottaient, dans un bel ensemble, avançant avec peine et sueur, bravement,
pour se retrouver au même endroit sans s'en apercevoir car un grand progrès d'une
minute avait été accompli. Elle ne refusait pas de trotter, vaillamment; rester sur
place était pire, tant que les minutes passent on peut croire qu'il y aura une fin.
Dans les religions elle trouvait la mort et la fin des temps, des sujets pour elle
réconfortants; l'échec final de l'effort humain lui paraissait positif, "dans l'ordre",
satisfaisant; il n'y aurait donc pas de vainqueur humain et ses humiliations dont
le simple souvenir la rendait folle, ne seraient pas risibles pour quelqu'un de son
espèce. Elle se jugeait avec l'oeil de Dieu. Il l'avait constamment suivie, accompagnée;
elle était une proie facile pour les illusions, les trucs-
Etrange Général, étrange guide qui dans son grand âge prenait la tête de la jeunesse
pour dépasser ses revendications et la faire trotter sans heurts sur la roue de notre
éternité. Il avait lu une déclaration devant les caméras pour lancer la révolution,
on ne l'avait pas revu depuis. Des bruits circulaient sur ses capacités actuelles;
certains le supposaient, à mots couverts, sénile; son entourage déciderait de tout.
On ne savait pas grand-
Pour les grandes articulations du système rien ne changeait, SSO, votations, compensations,
réformés, rôle des psys, jeux publics, droit à l'enfant, immigration... Néanmoins
Michel se serait senti davantage à l'aise dans notre société d'après révolution.
Plus de contraintes dans les propos d'enseignement, plus de participation obligatoire
aux dératisations, plus d'interdiction d'importer des biens et des oeuvres de l'étranger
(A quoi bon ? Quand on considère la vie chez les autres on ne se sent que mieux chez
nous.), plus d'enquêtes automatiques à partir de dénonciations anonymes (travail
épuisant et inutile tant nos concitoyens adorent écrire), plus de limitation de sorties
du territoire (Le mirage étasunien n'a pas tenu le coup face à la vérité de ce qui
se passe là-
La prospérité économique d'un état naît des désirs de séduction et de possession.
Les mirages sont délicieux pour les êtres avides. Leurs mains fiévreuses s'en emparent
avec la violence des caresses. Chacun traverse les rues tout en restant dans ses
rêves et ses lèvres leur balbutient des mots d'amour. La suppression des "Sens interdit"
a engendré une prolifération de rêves; peut-
On aurait dû admirer cette explosion. Madame la commissaire en chef la considérait
avec déception. Qu'espérait-
Remercions notre Général de nous avoir donné durant sa longue vie tout et son contraire, le revers et l'avers de la médaille.
III
Asma se réinstalla chez Madox. On ne sait pas qui fit les premiers pas en ce sens.
Un beau jour on les vit ensemble chez le boulanger de son quartier à lui, au supermarché,
partout où un ménage s'approvisionne, et à la maison de la presse. Pendant une semaine
ils ne se quittèrent pas d'un mètre. Qu'aurait-
Aucune gêne apparente.
Elle était vraiment belle et il avait beaucoup vieilli... N'était qu'ils avaient déjà vécu ensemble on aurait jasé. Mais quoi, un couple se reforme, l'amour vrai triomphe des problèmes transitoires.
Asma n'était plus embauchée nulle part. La libéralisation, voire libération, ne lui
avait pas été bénéfique; elle était le symbole -
Sans doute était-
Asma enviait la collection de gris-
Elle s'était retrouvée dans notre société, donc elle y vivait, elle n'adhérait pas plus à ses valeurs qu'à d'autres. Un monde qui ne la mettait pas en couverture d'hebdos féminins était mal foutu; si quelqu'un l'avait créé elle ne lui faisait pas ses compliments; mais pourquoi rationaliser l'irrationnel ?
Une fois réinstallée "chez elle", avec Madox, Asma se rendit partout sans problème, ni murmures ni agressions. Elle était "réintégrée", quoique dans le cas de cette fille qui n'avait aucun sens de la patrie, des nations, de nos valeurs ou d'autres, de notre culture ou d'une autre, des religions... ce terme soit abusif. Où qu'elle aille sur cette terre (et ailleurs) elle serait une asociale athée masquée. Pas une citoyenne du monde, une étrangère au monde, une anomalie planquée dans nos coutumes et nos lois, une irresponsable chez les responsables; non pas une héroïne de la fraternité entre les ethnies et les cultures mais un parasite de la fraternité.
Comme elle manquait d'amies (ses anciennes connaissances l'évitaient), Myriam lui parut une amie.
Elle convainquit de l'inviter à dîner un Madox pas vraiment enthousiaste. Eh quoi, vivre avec une jeune femme quand on n'est plus jeune impose une grande complaisance, de nombreuses complaisances.
Myriam pensa d'abord refuser puis constata qu'elle ne pouvait pas refuser; tout se
sait, on aurait conclu qu'il y avait eu une brouille de sa part avec l'hybride et
un refus de réconciliation; la presse, vaste écho, surtout du n'importe quoi, aurait
répercuté la nouvelle aux quatre coins du territoire; une dénégation n'aurait eu
quelque poids que par un dîner, alors autant aller à celui-
Elle pensa aussi à y emmener Charlie Charlot pour ne pas s'y sentir seule, gênée, empruntée, voire en service. (Mais elle serait bien en service, comment ne pas l'être dans une relation avec ces gens ?) Seulement le charme du réformé d'un côté, celui de l'hybride de l'autre... Madox et elle risquaient de se retrouver vite mécontents. Evitons d'inviter le diable en cinquième convive.
L'hybride trouvait à Myriam un petit air masculin qui lui avait toujours plu mais
elle pouvait se contenter d'amitié, elle avait peur de la solitude, elle éprouvait
une vraie panique quand une porte se refermait et qu'elle était enfermée avec elle-
Madox avait choisi de ne pas l'informer du nom du père du fils de Myriam. Elle s'enquit
donc sans arrière-
La décoration n'avait pas changé depuis la dernière et unique visite de Myriam. On notait juste la présence de quelques meubles venus de l'appartement de Michel et Asma, que Madox avait accueillis sans broncher. Lors des répétitions pour la "fête" l'hybride lui avait expliqué "amoureusement" l'histoire de chacun. Ces histoires habitaient incognito chez Madox, lequel n'avait pas eu droit aux mêmes explications; il est vrai qu'elle auraient été indélicates, certains récits lui auraient fait voir rouge. Mais grâce à l'ignorance Michel mort habitait avec sa femme chez son vieil amant.
L'essentiel pour Myriam était d'éviter les sujets qui fâchent.
Madox agit en parfait maître de maison, maniant avec doigté et dextérité l'insignifiant et l'agréable; ses propos avaient la légèreté et la vivacité des oiseaux de couleurs; rien du rigoureux tripoteur de l'Histoire n'affleurait; à l'évidence il s'était adapté à sa jeune maîtresse au lieu, comme autrefois, de vouloir la hisser jusqu'à lui.
Et pourtant, le chablis y poussant, le non-
-
-
A l'évidence ils avaient eu cette discussion ensemble, sûrement au sujet de l'invitée,
en préparant le dîner peut-
Myriam plissa légèrement le front : Nous y voilà; puis elle tourna la tête carrément vers Madox :
-
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Celui-
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L'expression était ironique. Ce genre d'accord est celui de la complicité pour meurtre. Seule Asma ne se rendait pas compte que l'on venait d'enterrer une seconde fois Michel.
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Madox lui toucha affectueusement la main :
-
Le regard de Myriam était comme d'habitude étonnamment fixe; sa fixité n'est pas une eau calme; encore moins de la limpidité.
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Elle but un peu et ajouta :
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Un silence laissa chacun suivre le cours de ses pensées; ce fut Myriam qui le brisa :
-
-
Puis il ramena brusquement la conversation sur un jeune créateur de mode avec lequel
Asma venait d'entrer en relation. Celle-
Diane s'épanouissait dans sa troisième vie. Sa jeunesse, SSO compris, n'avait été
que tumulte, une tête qui se cogne à des murs; l'après-
Elle mit tout cela en livre intitulé "Ma méthode pour le bonheur" et ouvrit un centre d'application pratique.
Bien loin de se soucier d'argent, du moins uniquement d'argent, elle cherchait à
faire bénéficier de sa méthode les coupables reconnus judiciairement tels; elle avait
donc expédié plusieurs courriers à Madame la commissaire en chef afin d'obtenir un
rendez-
Appliquant pour elle-
La théorie naturiste de la pureté s'adjoignait une cuisine diététique et des interventions
du bistouris destinées à rendre plus aptes à aller vers la perfection. Accepter le
corps tel qu'il est ne signifiait pas, selon Diane, accepter son laisser-
Diane en somme se considérait comme la vérité sortant du puits, nue et belle. Mais
s'il est logique que celle-
Madame la commissaire en chef recula le plus longtemps possible l'accord d'un rendez-
Myriam l'écoutait, en apparence attentive mais elle savait déjà ce que l'autre allait lui dire; en fait elle avait craint que la rencontre ne fasse "émerger" Diane, elle se rassurait; son impression touchait au malaise, cette fille était en partie son oeuvre, elle était face à une responsabilité vivante. Raison ! oui, elle avait eu raison ! Pas selon les règlements, soit, mais d'après le résultat.
Brusquement elle se rendait compte que Diane lui proposait la création d'une secte légale. Il n'était ni plus ni moins question en accordant l'entrée dans les prisons que de la reconnaître officiellement utile. L'aide aux prisonniers passait subtilement par un embrigadement, une mise en condition mentale; la secte nouvelle, avec Diane comme déesse, sauverait les corps sans âmes des déchus et par la voie du bonheur naturel les programmerait pour une rédemption qui serait couronnée par le retour de l'âme en eux. Vaste projet de la générosité, de l'amour du prochain, du dévouement à autrui.
"Nous n'avons que de bonnes intentions; même si nous ne réussissons pas nous aurons
apporté un peu de bonheur à ses défavorisés. Aidez-
Et plus qu'elle ne croyait; Myriam en frissonnait quand elle entendait sa réformée
exposer comme programme pour tous l'erreur d'autorité dont elle avait bénéficié;
de nouveau Madame la commissaire en chef blâma Myriam de l'avoir poussée à contourner
les lois pour un bien individuel; une réussite de la générosité entraîne une série
de catastrophes, jusqu'à ce que l'on bloque la générosité. Et comment stopper celle
de Diane ? Tant de dynamique désir de bien faire n'était-
Madame la commissaire en chef fut à la hauteur de sa légendaire habileté. Elle promit
son aide inconditionnelle contre les lourdeurs administratives sans bornes. Le projet
de Diane -
Diane sortit de l'entretien très satisfaite. Notre Général, dans sa sagesse, a multiplié
les conseils de toutes sortes, les commissions, les co-
Restée seule Myriam eut un petit assaut de dépression. Chaque fois qu'elle avait voulu prendre seule des décisions pour "bien faire" en ignorant délibérément les contraintes légales, jugées trop contraignantes, sclérosantes , pesantes, elle avait engendré des catastrophes; il est curieux que l'on ait si peu conscience de ses limites, que l'on croie comprendre ce que les autres ne comprennent pas au lieu d'être suspect à ses propres yeux; nul ne peut se regarder longtemps dans une glace sans ciller.
Sa réponse à sa faiblesse fut de vite rentrer chez elle pour retrouver son petit Michel. L'enfant était si mignon, adorable, qu'elle en oubliait le monde. Elle renvoya sa nounou afin d'être la seule mère pour lui. Ils passèrent un moment inoubliable (pour elle) à jouer ensemble. L'animal humain vaut mieux que sa pensée mais il ne peut pas s'arrêter de penser : le petit Michel endormi elle regarda sa liste des pères potentiels; elle réfléchissait.
Quatrième partie :
REMEDES
I
Oui, ce fut d'octobre suivant que date notre rencontre. Son prédécesseur n'avait
pas tant tardé. Elle avait, reconnaissons-
Il faut considérer aussi la présence de l'enfant. La mère a beau vouloir le protéger des coups qu'elle reçoit, une lapalissade nous rappelle qu'il en reçoit forcément les contrecoups. La mère ne protège l'enfant qu'en faisant en sorte de ne pas recevoir de coups. Et puis elle attendait déjà le second enfant.
Remarquez que la situation pour un homme n'est pas plus facile; la preuve : son prédécesseur
avait tenu moins longtemps, il avait eu besoin de sécurité lui dont le rôle consistait
à assurer la sécurité, il avait eu besoin "d'amis sûrs", pas très "amis" mais sûrs;
surmonter épreuve après épreuve, attaque après attaque -
Notre sotteciété comme la plupart des autres condamne les organisations para-
En même temps elle accepte, au nom des libertés, quantité de groupes de pression qui sont autant de forces de combat contre ce et ceux qui s'opposent à leurs intérêts; chacun, avec pignon sur rue et légitimité, est une milice de fait avec ses mercenaires payés coup par coup et ses permanents des profits et du combat pour les profits. N'importe quel opposant sera éliminé ou par mercenaire de loi ou par mercenaire d'affaires ou par mercenaire média ou par mercenaire de la force physique. Les saints sont rares sur cette planète.
La seule puissance supérieure aux milices légales des intérêts privés, lesquelles
se nourrissent sans frein de la puissance de l'état, s'en repaissent alors qu'elle
devrait les mettre au pas, est la fraternité des honnêtes gens. Sans structures apparentes,
sans tambours, sans trompettes, sans discoureurs. Il ne s'agit pas d'une association
secrète. Il s'agit d'une entraide discrète. Sans chefs, sans dirigeants, mais avec
des membres plus actifs, plus influents que d'autres -
"Je ne suis rien, je suis tous les nôtres", voilà notre devise. Ni prétentieuse,
ni menaçante, vous voyez. Notre système social a besoin de gens calmes et circonspects
qui ont le sens de la communauté. Il ne doit pas être déstabilisé. Une paix stable
est une paix violente. Laissons les protestations gnan-
Ces explications, à mon sens, permettent de comprendre le comportement de Madame
la commissaire en chef. Notre rencontre fortuite lui était devenue nécessaire. Nous
aurions été peinés qu'elle ne s'en rende pas compte. Mais le Général aurait-
Les comportements sont les habits des idées. On peut les imiter mais pas dans la
durée; la bure ne cachera pas longtemps l'hérétique; le moine taille et coud son
habit. Ainsi celui qui veut se cacher sous des apparences nous révèle à la fois avoir
quelque chose à cacher et son esprit de fourbe. Vivons vrai, n'est-
J'avais su qu'elle serait des nôtres, qu'elle était des nôtres, bien avant elle. Elle avait besoin de temps pour évoluer. Quand certains s'impatientaient je leur rappelais des exemples "célèbres" et on m'écoutait.
Je suis un homme d'habitudes. Comme ça on n'a aucune difficulté pour me rencontrer. Le hasard est facile avec moi.
En octobre les beaux jours deviennent rares, je profite encore des plages; elle avait choisi un jeudi, où je me rends dans la presqu'île à la mieux protégée du vent et des vagues. Néanmoins une tempête déchaînée la semaine précédente y avait rejeté, comme ailleurs, déchets en masse et bouts de bois en si grand nombre qu'on aurait dit une forêt abattue. Difficile de se trouver un coin propre, je dus mettre la main à la pâte, j'avais apporté des gants. Installé juste au bord des vaguelettes tranquilles mais assez fraîches, je tournais le dos aux bûchers dont le vieux Camus, le cantonnier, surveillait les flammes tout en rassemblant des branches, des bouts de bois divers, pour en édifier d'autres. En bout à ma droite, vers le chantier du port, étaient assis sagement de petits écoliers que leurs institutrices avaient amené contempler le spectacle. Après tout une plage de naufrage peut être une image d'éveil.
Je sortais de l'eau quand Myriam arriva. Elle s'installa sur l'arrière, au pied du muret qui soutient la terre du chemin, assez près du petit escalier, où les plus fortes vagues seules avaient projeté des déchets, si bien qu'il lui suffit de quelques coups de pied pour les écarter et avoir son espace.
On entendait à peine la mer. Quelques goélands parfois nous survolaient avec des cris. Un se posa et longtemps immobile, statufié, fixait à bonne distance les bûchers.
Derrière la plage il y a une colline coupée par une route semi-
Les enfants se levèrent et sous la conduite de leurs institutrices commencèrent la
traversée de la plage. Il s'agissait d'en atteindre l'autre bout dans le calme afin
de contempler la diversité des déchets. Hautement éducatif. L'aller se fit par le
bord de la mer et, "naturellement", l'arrêt pour attendre les derniers fut programmé
juste à ma hauteur; s'il y a ne serait-
Les enfants ayant atteint le bout de la plage firent demi-
Leur halte pour commentaires et rattrapage des égarés eut lieu "naturellement" à
la hauteur de l'unique baigneuse. Myriam, excédée de ce sans-
-
-
Elle s'assit près de moi. Les présentations n'étaient pas nécessaires. Nous échangeâmes
des souvenirs d'enfance, les siens n'étaient pas assez heureux pour une conversation,
je connaissais suffisamment les détails de sa vie -
Nous ne sommes libres que liés aux autres, avec d'innombrables liens. Certains se
choisissent. Myriam après avoir réalisé son unité avec Madame la commissaire en chef
(au lieu de la considérer comme un double étrange d'elle-
J'évitai les propos sur l'actualité, je ne voulais pas la mettre mal à l'aise; elle
y vint d'elle-
D'autant que, nous le savions parce que savoir est nécessaire pour aider sa société
à éviter les dangers, les trahisons, les attentats... parce que l'information vraie
est nécessaire à la survie d'une démocratie et ne se trouve pas dans la presse...
parce que les citoyens véritables sont les lois vivantes d'une démocratie... parce
que l'effort pour connaître ce que les autres cachent est une loi non-
Je vis plutôt à l'époque dans cet échange de propos une demande de neutralité avec engagement réciproque.
La discussion continua un peu sur tout et rien. Je me souviens seulement que, à une
de mes remarques sur l'impatience fréquente des citoyens à l'égard des échecs de
la police, elle plaisanta sur l'importance des affaires non-
Nous ne nous étions plus occupés des enfants. Ils étaient en train d'écouter le cantonnier.
Celui-
Leur tas terminé, ils contemplèrent gravement le cantonnier y mettant le feu : bien sûr c'était l'aboutissement logique de leur travail mais c'était dommage quand même, un si beau tas... La fumée montait droite des branches noires, aucune odeur ni bruit ne me parvenaient des bûchers, le silence avait repris la plage.
Les enfants repartirent à leur école.
Myriam s'en alla à son tour, me faisant un petit signe de la main.
Le goéland revint me visiter; je ne mangeais plus, il avait pris l'habitude des humains;
peut-
Et je songeais à l'étrange cas Madox, historien doué à la longue carrière d'opposant
universitaire tranquille aux pouvoirs, une opposition presque statutaire tant la
jeunesse la prend traditionnellement pour la pensée, et qui sur le tard agissait
ses idées, ou les jouait -
De la manière dont il procédait il risquait d'être le pendu à la place de celui que personne n'aurait pendu. Il prenait médiatiquement sur lui un risque inexistant qui, de ce fait, prit forme. Un risque pour rien. Comme celui d'un conducteur qui pousse à fond sa puissante voiture sur une autoroute déserte en pleine nuit, qui fonce avec seul but potentiel l'accident.
Quand une société cesse momentanément d'être suicidaire, les suicides individuels se multiplient ou bien ils se voient au lieu d'être perdus dans la masse. Madox était un meneur qui ne menait à rien. Il conduisait sans passagers. Les passagers ont tendance à demander où l'on va, la réponse "tout droit" ne leur paraît pas suffisante. Il y a des gens qui attendent d'être âgés pour cesser d'être raisonnables.
C'était sûrement la "qualité" qui lui avait valu le choix de Myriam. Je ne crois pas en effet qu'il y ait eu jalousie envers l'hybride. Elle avait le goût conscient des hommes exceptionnels et, d'une certaine façon, Madox en brisant les barrières du convenable, de l'intellectuel, du socialement installé, de l'universitaire médaillable, de l'homme âgé sexuellement résigné, du révolutionnaire de salon, était entré au triste panthéon des solitaires remarquables et remarqués. C'était tout de même encore un curieux choix pour une commissaire de police en chef.
Quand le soleil déclina je pris le chemin du retour lentement, les derniers beaux
jours d'octobre sont les derniers beaux jours de l'année; la lumière était de cristal.
Je gravis l'escalier de la colline au lieu de passer par le parking et la route pour
rejoindre l'arrêt de bus. Arrivé en haut je me retournai vers la mer. De minuscules
voiliers pour enfants de l'école nautique regagnaient le port, les couleurs vives
de leurs voiles étaient le mouvement de la joie sereine, l'eau de ciel effaçait leur
trace doucement. Aucune vie au-
Dans le bus je réfléchis aux coups de téléphone indispensables, aux destinataires, aux rencontres les jours suivants, aux paroles à dire et à ne pas dire.
Le prix de l'alliance ne m'échappait pas; il faut avoir les idées larges avec ses
"amis", on doit leur passer quelques faiblesses, voire quelques incartades, tourner
la tête et le regard en quelques circonstances. La psychologie coupable aime se faire
passer pour des machins-
Madox ne supportait pas de ne pas être le jeune amant d'Asma. Il s'était choisi héroïque par défaut. Dans son programme de course au précipice il n'y avait pas non plus de rôle paternel. Pourtant il n'était plus vraiment en mesure d'arrêter son existence, elle lui survivrait malgré lui en quelque sorte.
Si on considère alors l'histoire de Michel, si tant est qu'il ait eu une histoire
et n'ait pas été un simple figurant de celles des trois autres ou de deux des autres,
si on considère son tragique décès, élucidé officiellement seulement, on en vient
à se demander s'il a été une victime d'idéaux ou de psychologies. Et si lui-
Je ne suis pas homme à me mêler des drames, ni à les empêcher : chacun a besoin de
son illusion de vie; il me semble regrettable d'intervenir dans les erreurs particulières.
Chacun se perd à sa façon. Les nourritures de vie remplacent valablement les trucs-
II
Des mois s'écoulèrent. Michel eut un frère : Madox. Il portait en prénom le nom de son père. Nos félicitations à la mère couvrirent des protestations sur le choix du prénom jugé trop révélateur de celui du père et contraire de ce fait à nos habitudes sans l'être absolument à notre système de vie. Le petit Madox vint donc au monde sans mystère. Asma, qui ne voulait pas avoir d'enfant vint le dorloter et les photos se vendirent bien.
On fut obligé de considérer que les événements privés de la vie de Madame la commissaire
en chef prenaient une importance inhabituelle et même démesurée. Pour la masse la
vie de son prédécesseur se limitait à sa fonction. Avec elle une personne occupait
la fonction. Celle-
Cette légitimité gagna du poids à la mort de Madox père.
Celle-
La version certifiée vraie par la police sans que Madame la commissaire en chef trop proche du mort s'en mêle, fut un suicide à cause d'une grave maladie que le patient refusa de nourrir de sa vie. Il avait tué son assassin, selon les termes de sa lettre.
Allez savoir pourquoi, personne n'y crut. Surtout pas nous. Quand le débat médiatique
fut clos faute d'éléments nouveaux, beaucoup restèrent persuadés que l'historien
avait été assassiné. On n'appréciait pas ses trucs-
Asma fut désignée coupable; ce qui n'était pas vraiment négatif; sa cote professionnelle remonta. Elle parut sulfureuse. Tous ceux qui l'approchaient mouraient. Elle portait la mort. L'hybride si belle était ange mais son annonciation était sinistre. Trop belle pour être réduite à sa beauté, elle produisit de nouveaux phantasmes et des suicidés, plusieurs années de suite, avaient fixé un de ses posters de mode sur le mur devant eux, ils s'étaient donné la mort en la regardant; dans leurs lettres ils l'appelaient la "passeuse", celle qui aide à mourir les êtres souffrants et conduit les âmes hors des temps.
A partir de fuites policières, vraies ou inventées on ne cessait de prétendre que
Madox s'était tué avec un pistolet qui n'avait pas tiré. S'il avait une balle dans
la tête comment l'expliquer ? Mais en avait-
Les esprits perfides, eux, tenaient la meurtrière en Asma et cherchaient des preuves
pour la coincer. Sa place était en prison pas à la télé où on la voyait de nouveau,
souvent invitée dans les discussions-
Franchement, pour convertir un meurtre en suicide sans que la police réussisse à s'en apercevoir il aurait fallu au moins les connaissances techniques et l'intelligence froide de Madame la commissaire en chef.
Mais quel aurait été son motif ? Aucun. Pour aider l'hybride au lieu de la raisonner ? Ça ne tenait pas debout.
Une photo toucha le coeur de toutes les mamans, celle de Myriam avec son petit Madox dans les bras lors de l'enterrement au bord de la tombe. Le petit Michel se tenait contre sa mère, sans rien comprendre.
Cette mort nous était inutile, il allait falloir surveiller l'émergence du nouveau guide pour la jeunesse, voire aider le candidat qui serait à nos yeux le meilleur aimant. Tout un travail de promotion d'un adversaire choisi. Et insérer dans sa carrière et sa vie s'ils n'étaient pas encore présents les éléments de destruction que l'on activerait s'il devenait dangereux. Les histoires de moeurs restent le meilleur démolisseur de carrière, les femmes surtout sont une inépuisable ressource.
Après tout Madox était peut-
Des fils d'assassinés avaient bien besoin de la protection de leur mère commissaire
de police. On avait le sentiment que le drame des pères était une épée de Damoclès
au-
Les certitudes improuvées petit à petit cessent de pousser les hauts cris, elles se résignent à ne pas être écoutées, elle se tapissent dans un coin des têtes, hargneuses et amères, prêtes à resurgir si l'occasion s'offre.
Madame la commissaire en chef vécut strictement dans ses routines professionnelles
et maternelles le temps qu'il fallut pour que les routines soient considérées comme
sa vie. Elle nous prouva à plusieurs reprises sa bonne volonté à notre égard par
des retards d'investigation dans une affaire boursière qui concernait en partie le
financement de certaines de nos actions, elle oublia en outre quelques discutables
indices lors de la découverte d'un regrettable décès, enfin la police fut occupée
au point de ne pas réagir le jour où eut lieu un combat sanglant à l'entrée autoroutière
d'une cité. Les effectifs manquaient, elle n'y était pour rien, les politiques régionaux
avaient réduit les crédits. Une trentaine de morts : des "esprits éclairés" d'une
lumière anti-
Peu après elle reçut la plus haute décoration de l'état des mains mêmes du Général
en visite officielle dans notre région. Ce qui prouve qu'il n'était ni prisonnier
de ses proches ni gâteux. A cette occasion nous aidâmes à empêcher deux attentats
: l'un perpétré par les services secrets étasuniens particulièrement actifs pour
nous déstabiliser, leurs membres tombèrent entre nos mains au lieu de celles officielles,
ce dont ils n'eurent pas à se réjouir; l'autre attentat, musul, nous fournit rapidement
de précieuses informations. La taulairance avait pondu ses oeufs de serpent dans
notre société; elle ne se contente pas de concessions, d'acceptations; elle n'est
satisfaite que lorsqu'elle a tué la société dans laquelle elle a réussi à s'installer;
elle se tue elle-
Notre Général fit une tournée triomphale méritée. Il nous a permis de survivre aux
tentatives d'occupation et aujourd'hui nous nous en occupons nous-
Conformément à notre mode de vie Myriam ne resta pas seule pour élever ses enfants. Elle se mit en ménage avec le charmant Charlie Charlot. C'était un plaisir de voir cette petite famille aux courses ou à la promenade. Certes l'image n'était pas trompeuse pour nous : Charlie Charlot était très recherché des dames et à l'évidence un accord avec sa compagne officielle l'autorisait à lui éviter des jalousies.
Pendant un certain temps on vécut dans la sérénité et l'harmonie. Aucune agression
intérieure ou extérieure ne nous perturba. Nous savions que le bonheur ne dure que
si on ne somnole pas, que si on reste prêt à répondre aux attaques et, en un sens,
le bonheur pâtit de l'effort de surveillance pour lui permettre de se continuer;
juste pour quelques-
J'écris cette chronique comme mon père à écrit celle des événements de son temps,
comme mon fils écrira la sienne, puis son fils... Nous rendons compte de l'Histoire,
par-
Diane aussi était en ménage, nous l'avons dit, et son affaire d'aide aux défavorisés
du bonheur tournait remarquablement. Elle eut une bonne surprise quand elle reçut
l'accord de Madame la commissaire en chef, dûment motivé par l'accord du Conseil
spécial des prisons, pour porter la bonne parole aux filous, voleurs, bandits, assassins,
enfin criminels de toutes sortes. Cette immense tâche à accomplir devant elle l'enthousiasmait.
Sans tarder, joyeusement, l'apôtre commença d'illuminer les geôles. Ses accords avec
leur direction étaient stricts. Les rieurs et les récalcitrants allaient développer
leur réflexion dans le recueillement du mitard. Le temps qu'il fallait. Ils en ressortaient
à moitié convertis, au moins. Objectivement beaucoup d'humains regardent l'idéal
comme des vaches un train; si par bonté on veut les faire grimper dans le train il
faut les pousser; la force et la contrainte dressent au salut. Et pourquoi pas ?
C'est sans doute mieux que de ne rien faire pour eux. Les bonnes intentions valent
mieux que le scepticisme. Le scepticisme est le petit frère du cynisme. Les bonnes
intentions sont sympathiques, leur inefficacité répétée ne les décourage jamais;
l'imbécile heureux est heureux donc pas si imbécile. Diane a beaucoup oeuvré pour
les prisonniers, on peut critiquer sa façon (on ne s'est pas gêné), mais on doit
reconnaître que les réinsertions furent plus simples et plus réussies dans de nombreux
cas grâce à son travail, préparatoire en somme, au siège des punitions. Le bonheur
est-
En plein règne de la paix et de l'amour, un matin, je m'en souviens bien, je me vois
encore laissant pain, beurre et café à la sonnerie du téléphone -
Une sentinelle n'est jamais surprise que l'ennemi apparaisse brusquement. Ses germes de mort sont invisibles longtemps dans le bonheur mais ils sont présents, toujours. Ils sont moins patients que nous.
Le petit Charles, troisième fils de Myriam (et de Charlie Charlot) était déjà né; ainsi la famille était une vraie famille, le père un vrai père; Myriam et Charlie Charlot ont vécu plusieurs années ensemble. Ce couple était constamment à la une ou en couverture des gazettes et hebdos, parfois avec l'hybride qui, vivant seule, trouvait un réconfort, une chaleur en se joignant à leur vie familiale, en conduisant les petits au jardin public comme toutes les mamans (Myriam n'avait pas le temps), en jouant avec eux. Une amie rassure plus que des employées, tant qu'elle s'occupe des enfants on est tranquille. Quatre cinq ans de vie commune, oui. Un vrai bonheur et soudain...
Nous n'avions pas été sans craintes lors de l'étrange choix de Myriam : une commissaire en chef et un réformé pour menace terroriste formaient un couple détonnant, éventuellement détonant. Les catastrophes prévues manquent rarement d'arriver. Sans être pessimiste une sentinelle peut assurer qu'elle n'est presque jamais heureusement surprise.
Le père des enfants de Madame la commissaire en chef avait commencé par tenir de
curieux propos : "La liste des morts coupables vaut bien celle des morts innocents",
" Notre Général, splendeur de l'occident, devrait savoir se retirer et même décamper",
" Pas de De Gaulle sans Pétain, alors ni l'un ni l'autre", "Chez nous le temps ne
passe pas, il stagne", "Quand il n'y a pas de soubresauts de la vie et que tout est
sous contrôle, on s'ennuie", "La jeunesse se laisse amuser par un hochet de libéralisation
agité par un vieillard"... Madox aurait adouci l'alcool de chacune de ces phrases
dans dix litres d'eau. L'aimable réformé émergeait vite. Il participa bientôt à des
réunions secrètes que certains des nôtres organisaient pour contrôler les dangers
humains éventuels. Puis, pris de doute, preuve de bon sens et d'intelligence, envers
ces organisateurs, il en organisa lui-
Nous prévînmes Madame le commissaire en chef, et comme elle semblait ne pas réagir
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Je commençai à me demander si la mère des enfants de Michel et de Madox n'avait pas une part (lourde) de responsabilité dans l'émergence de Charlie Charlot. Je le lui laissai entendre nettement. Elle ne cilla pas. Son sourire, que l'on pourrait qualifier de suffisant, ne la quittait pas. Menacer ne sert à rien; on prend contact et on échange des points de vue; on se quitte "avec conséquences".
Ceux qui prétendent que Madox était à l'origine de la mort de Michel que Myriam aurait
vengé, virent une preuve dans l'émergence de Charlie Charlot : "Ouvrez les yeux,
disaient-
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Il y avait là une menace qui siffla à mes oreilles. Le droit pour elle consistait à laisser Charlie Charlot continuer, donc ce qu'il disait dans ses réunions était du côté du droit, la force publique soutenait de fait ses propos déstabilisateurs.
La seule inconnue était son rôle réel dans l'émergence et les raisons pour lesquelles elle l'avait ou favorisée ou provoquée. Personne ne savait ce qui se passait dans sa tête; elle était perturbée mais à quel point . et de quelle façon ?
Nous nous séparâmes assez froidement.
Les décisions furent prises dans les heures qui suivirent.
Une des premières mesures fut la protection de Diane. Nos aimables correspondants nous avaient informés que Madame la commissaire en chef s'était plusieurs fois trouvée sur son chemin par hasard. Avec et sans Charlie Charlot. Son esprit restait pour le moment sur la voie du bonheur mais on sait comment des paroles complexent aisément, comment on en vient à croire le bonheur égoïste et comment on est enfin persuadé qu'il y a mieux que le bonheur, se sacrifier. Les serpents de la générosité, de la tolérance, du don, de l'immigration massive, éventuellement déclarée irrésistible pour ne pas avoir à la repousser, de la fraternité universelle à vos dépens et au profit des musuls sans l'avouer, de l'athéisme collabo musul, de la mort des civilisations annoncée en prophètes et répétée médiatiquement pour abrutir par les tueurs, que l'on peut tuer avant, de la repentance pour s'être délivré des rats, des complexes pleurnichards poussant à la faiblesse pris pour la pensée par les animateurs radios et télés shootés, de la drogue omniprésente chez les people qui seuls ont la parole, du fric apparaissant miraculeusement dans les poches des déstabilisateurs, souvent des politiques... dardaient leurs têtes venimeuses autour d'elle. Aucun n'avait encore réussi à la piquer. Aucun n'y arriverait.
Puis nous créâmes le cercle autour des révolutionnaires et le cercle commença de se resserrer.
III
Les remèdes au mal ne guérissent pas sans lutte. Le fièvre monta. Le virus sournois
attaqua le centre vital en jouant la similarité avec les gardiens des postes avancés
pour les tromper; cette stratégie lui permit d'avancer masqué. Madame la commissaire
en chef lança brusquement une rafle gigantesque dans laquelle elle prétendait capturer
des ennemis intérieurs terroristes, des dangers pour les citoyens, en réalité le
filet devait nous attraper, nous, et des violences nous pousser à fuir par des trous
assez gros astucieusement placés, ordre avait été donné de tirer à balles réelles
sur ceux qui tenteraient "par tous les moyens" de s'échapper, ceux-
Un de nos atouts est l'absence de structures. Pas de colonne vertébrale -
Quoique j'aie été particulièrement ciblé, Madame la commissaire en chef ne m'attrapa
pas. On me prévint. Pour être précis (le secret désormais peut être levé) : Asma.
Ses raisons paraîtront d'abord obscures, pourtant elles étaient simples, le triomphe
de la réaction en nous éliminant ouvrait les portes aux musuls qui estimaient qu'elle
les avait trahis, qu'elle s'était totalement "occidentalisée", le triomphe des idées
qu'elle avait semblé servir à cause des circonstances de sa vie, tournerait au fiasco
pour elle; en m'avertissant elle créait une dette envers elle, elle savait que nous
l'honorerions. Une hybride ne peut être d'un camp ou de l'autre; si un côté gagne
elle est perdante car par nature pour les uns et les autres, en dépit de ce qu'ils
affirment, elle n'est pas vraiment des leurs; le seul moyen de ne pas être rejetée
est l'absence de vainqueur (provisoire de toute façon). J'échappai donc. Madame la
commissaire en chef, perdant toute prudence, me poursuivit elle-
Un court laps de temps les citoyens qui ne voient que la surface de la mer et qui croient connaître la mer, les observateurs superficiels, la majorité de la population, crurent de bonne foi au triomphe de la représentante de la loi. Ils s'étonnaient seulement que les félicitations du Général tardent. Des immigrés apparaissaient brusquement, et cela les scandalisait, s'installaient avec petit sourire ironique. La libéralisation officielle autorisait et justifiait leur invasion. Madame la commissaire en chef parla de tolérance, à la télé, au vu et au su publics.
Mais ces gens-
Peut-
L'opinion "préparée" (par nous), les actes terroristes commencèrent. A l'évidence les envahisseurs voulaient toujours plus ! Ils éliminaient même leurs partisans trop modérés à leur goût, qui ne donnaient pas assez; ils voulaient tout prendre; qui était encore en sécurité ?
Madame la commissaire en chef tenta d'apaiser en attribuant les bombes, qualifiées
d'artisanales, à des marginaux. Elle essaya d'insinuer que "les rebelles à l'ordre
nouveau", nous dans son esprit, étaient les véritables auteurs de ces "crimes". Après
l'insinuation serait venue l'affirmation. On ne lui laissa pas le temps nécessaire.
Les bombes tuèrent non seulement des dignitaires mais aussi des innocents; forcément
l'indignation monta, sa vague grossit, et quand moururent des enfants, devint raz-
Nos sacrifiés sont nos héros, nos coeurs sont torturés du souvenir de leurs morts, nous sommes les seuls à fleurir encore leurs tombes. L'opinion, elle, est passée à "autre chose", expression sinistre si on y réfléchit.
Un musul interrogé par une TV et qui expliquait qu'il s'agissait d'une véritable guerre pour les valeurs démocratiques de la tolérance et du droit de s'installer où l'on veut, eut l'expression plus que malheureuse pour nos enfants de "dommages collatéraux". Cette expression devint notre poudre, nous la répétâmes partout, nous réveillâmes nos taupes des médias pour qu'elles la passent en boucle quitte à être découvertes. Puis nous mîmes le feu à la traînée de poudre; elle allait jusqu'à un explosif au centre du pouvoir; elle ébranla Madame la commissaire en chef et les "esprits éclairés" qui apparurent incapables de protéger les innocents, donc complices des criminels car ils leur avaient permis de s'établir, et toujours plus nombreux. Les complices de la mort des enfants étaient au sommet du système de défense, de police, d'ordre.
Un dimanche matin, jour du Seigneur, Charlie Charlot fut retrouvé pendu. Sa compagne
avait dû s'absenter pour raison professionnelle durant la nuit -
Il passait pour l'idéologue des temps nouveaux, le mâle faisant faire à Madame la commissaire en chef ce qu'il voulait. Curieuse illusion.
La tête principale était coupée, elle ne repousserait pas. Le système de l'ordre
légal a un cerveau et une colonne vertébrale, il est fragile; certes il est forcément
remplacé par un autre ordre légal, besson du précédent, mais le cerveau, lui, change.
Si Madame la commissaire en chef n'était pas le cerveau mais la colonne vertébrale
ou même une simple vertèbre, était-
Le suicidé avait laissé une lettre pour expliquer son geste de désespoir : il reconnaissait
avoir échoué dans sa haine de notre République, il demandait pardon pour les morts,
il avouait s'être trompé. Rien là de surprenant. Mais la porte ouverte rendait perplexe.
Les suppositions proliféraient dans les têtes bien faites. Madame la commissaire
en chef expliqua avoir perdu sa propre clef, son compagnon avait voulu lui éviter
de briser la porte pour entrer. Quant aux enfants, ce soir-
Pourquoi pas ? L'affaire fut close officiellement car aucun élément ne permettait
de prolonger l'enquête; elle fut close si vite -
Quand elle se rendit avec ses fils à son troisième enterrement de père, désormais seule pour assumer la lourde charge de leur éducation, son courage toucha. Asma était là aussi, soutien indéfectible; elle avait fait venir les meilleurs photographes, elle s'y connaissait; Myriam dans les magazines était admirable de dignité éplorée, de peine dominée, de faiblesse et de grandeur humaines. Du bon boulot.
Je réapparus en public dès le lendemain sans être inquiété. J'aurais pu attendre mais il ne fallait pas avoir l'air de recevoir une autorisation, il fallait occuper la place, la prendre. Nous ne portons pas le deuil de nos ennemis. Le prix du vainqueur est la vie; elle est exigeante avec les siens; on simule la pardon aux morts pour ne plus avoir à s'occuper d'eux.
Partout les nôtres reprirent leurs fonctions. Les punitions furent justes. Une fonction
vacante n'est pas forcément à demander; s'y installer correspondait à un engagement
politique en faveur de la réaction désormais vaincue; alors dégage, tais-
Peu de morts lors de cette libération; nos ennemis avaient été tués avant. On finit de nettoyer.
Les envahisseurs ne s'attardèrent pas à prétendre qu'ils étaient bien d'ici, qu'ils
avaient des papiers, qu'ils avaient enrichi notre patrie de leur arrivée massive,
qu'ils... ils décampèrent et nous évitèrent ainsi de les rayer nous-
Restait le cas de Madame la commissaire en chef.
Notre rencontre eut lieu cette fois sur cette même plage où elle était venue me trouver la première fois. Avec l'intention de me tromper, on n'en doutait plus. Son petit sourire suffisant avait disparu. Je suis un homme aimable, la conversation fut donc aimable. Tous les postes de direction autour d'elle seraient occupés pas les nôtres; elle nommerait un adjoint, ce qu'elle avait toujours évité; elle n'aurait plus aucun pouvoir réel.
Beaucoup estimèrent que ce n'était pas payer cher. Ils ne voyaient pas que l'opinion verrait dans notre mansuétude la preuve qu'elle avait lutté contre des attentats perpétrés par les étrangers; les questions sulfureuses perdaient leurs raisons d'être; les bombes et leurs victimes innocentes serviraient longtemps de leçon contre les "esprits éclairés".
Toute communauté ou défend son territoire ou disparaît. Quel qu'il soit le vainqueur est innocent.
Le sang ne reproche pas, n'accuse pas, il est du côté des vivants, il admire la vie.
La vie humaine ne peut exister sans société, notre société est notre vie, notre société
ne disparaîtra pas. Ceux qui veulent s'y implanter en masse, s'en emparer sans le
dire avec l'aide des collabos "esprits éclairés", la faire disparaître, disparaîtront.
Ne soyons pas naïfs, la guerre qui ne s'avoue pas guerre est incessante, les pacifistes
sont des vaincus par avance. Nous sommes les sentinelles, nous sommes les gardiens,
nous ne dormons jamais. Un mois ou un siècle peu importe, notre vigilance de père
en fils ne se relâche pas, ne se relâchera pas. L'avenir n'est pas dans la mort de
notre société, celle-
Les problèmes réglés, le Général félicita enfin officiellement Madame la commissaire en chef.
Asma retrouva les faveurs de la presse, des podiums, des émissions de chansons, des
réceptions. N'était-
Elle fut à plusieurs reprises l'invitée de la chaîne TV payante de Diane "La chaîne
du bonheur". Un peu chère mais la charismatique réformée attirait un public suffisant
par la force de sa conviction. Un téléspectateur était un jour ou l'autre acteur
car la chaîne retransmettait surtout en direct les séminaires, les groupes "de travail",
les "sorties", les visites... et tôt ou tard il avait envie de participer. Les "Etres
de lumière" illuminaient suffisamment pour créer une zone facile à surveiller. Bien
malin un individu qui s'y serait intégré pour mieux tromper, Diane l'aurait flairé,
débusqué, peut-
En fait seule Madame la commissaire en chef resta longtemps sous surveillance constante. Mais elle était si bien entourée...
Professionnellement elle devint plutôt dure et gagna son surnom de "la teigne" et
même de "la salope". Avec le temps s'imposait la certitude qu'elle avait fait tuer
ou tué elle-
Mon fils délivré de sa mère reçut un nouveau prénom : Jean (elle avait tenté de lui
donner mon nom comme prénom). Il vécut avec son père illégalement -
Asma contribua grandement à l'éducation de ses trois frères, ce qui, étant donné
ce que j'appellerai son innocence vicieuse, ne se révéla pas un facteur positif.
Souvent on les voyait, Myriam et elle, les promener ou se disputer à propos de leur
éducation, Myriam vite exaspérée, répondant au téléphone, se trouvant bientôt une
urgence professionnelle. Ni l'une ni l'autre ne se retrouvèrent de compagnon, même
une aventure avec elles risquait d'être une marque indélébile, on risquait de se
méfier partout de l'homme qui aurait osé. Peut-
Les remèdes au virus déstabilisateur n'étaient que temporaires, nous le savions.
Le mal ne quitte pas le corps social. Il y est tapi. Il attend. Nous attendons. Il
est immortel. Nous nous rendons immortels : nous avons appris de lui comment procéder.
Pour nous le fils est comme le père; à la mort du père, il devient le père; il est
prêt, à la même place de gardien, rien ne le corrompra. Notre nourriture de vie est
notre société. Nous sommes inaccessibles aux trucs-
Notre Général est-
Fin